Une nouvelle fois, le drame s’est noué en pleine nuit comme à l’Aquila en 2009. Une nouvelle fois des familles se sont couchées sans savoir qu’elles ne reverraient plus un ou plusieurs des leurs au petit jour. Que faire contre la loi de la nature ? Une nature qui sait encore être plus forte que nous ? Doit-on se résoudre à une certaine forme de fatalisme ou au contraire espérer ? Mais espérer quoi ? Que la technologie nous préserve de telles catastrophes naturelles ou que les hommes soient aussi plus sages ?

Tous les cinq ou dix ans, ces images de villes ou villages abattus comme de vulgaires châteaux de cartes nous reviennent. Des images comme des scènes de guerre, en plein cœur de l’Europe, dans nos temps modernes. Aujourd’hui, contrairement à celui de l’Aquila, aucun signe annonciateur détecté sur les machines des experts, dans les ordinateurs des centres de suivi de l’activité sismique. « On savait qu’un jour ou l’autre cette zone serait susceptible d’être touchée mais on ne savait pas quand » ont répété les spécialistes. Nous voilà bien avancer… L’Italie et cette partie de la zone des Apennins se situent entre deux plaques, la Tyrrhénienne et l’Adriatique.

Voici les explications que livre la palésismologue Lucilla Benedetti au journal du CNRS quelques heures après le séisme : « L’Afrique, au sud de la Sicile, est actuellement en train de converger vers le Nord à une vitesse d’environ 5 à 7 mm par an. Entre l’Afrique et l’Europe ‘stable’ (l’Europe continentale jusqu’aux Alpes), il y a toute sortes de microplaques—dont la microplaque adriatique, qui elle entame une rotation antihoraire, ce qui pousse cette région des Apennins à s’ouvrir. Toutes les stations géodésiques – il y en a énormément le long des  Apennins – montrent qu’il y a un mouvement divergent, qui s’écarte, à une vitesse d’environ 3 mm par an, par rapport à une zone tyrrhénienne qui est beaucoup plus stable. C’est la rotation de cette microplaque adriatique qui crée tous ces tremblements de terre – et notamment celui de 1980 à Irpinia dans la province d’Avellino, en Campanie, événement qui a vraiment réveillé l’Italie quant aux risques sismiques. Cette partie de la chaine des Apennins est en train de s’écarteler entre la plaque tyrrhénienne et la plaque adriatique. »

Bref, oui la zone est à risque. Mais une fois que nous avons dit ça, ne peut-on pas agir ? « Tout le monde soupçonne qu’une telle tragédie n’est pas uniquement le fruit du destin ».Après le tremblement de terre qui a touché l’Ombrie, la phrase du procureur de Rieti, en charge de l’enquête, arrive comme une secousse supplémentaire, quelques heures à peine après le drame.
Cinq ans après la tragédie de l’Aquila (309 morts), une partie du Conseil Municipal de la cité des Abruzzes a été poussée à la démission. Que lui reproche-t-on ? De ne pas avoir anticipé précisément le séisme ? Non rien de tout cela. Et d’ailleurs qui pourrait vraiment le faire encore aujourd’hui ? Que reproche-t-on alors à ces élus de l’Aquila ? D’avoir fait un mauvais usage des millions versés par la Commission Européenne, pour des reconstructions de qualité médiocre avec un coût 158% supérieur à celui du marché.

Le procureur national Anti-mafia l’assure aujourd’hui. « Ces scandales ne se répèteront pas » assène Franco Roberti. Nous l’espérons bien évidemment pour toutes les victimes du passé ou potentielles mais également pour la réputation, une fois encore, du peuple italien. Que n’avons-nous pas entendu encore après la catastrophe d’Amatrice. « Mais l’école avait été rénovée selon les normes antisismiques et elle s’est quand même effondrée ! Je ne comprends pas ». Réponse : « Oh tu sais là-bas, c’est magouille et compagnie… » Il faut dire, pour en revenir encore à ce cas-précis, que l’exemple de l’Aquila reste saisissant. Là-bas, c’est le ciment utilisé par les entrepreneurs locaux qui a été mis en cause. Comment peut-on oser construire une maison sans en assurer la solidité ? Comment peut-on dormir en sachant qu’on a installé là une famille, le tout sur une zone à risque de tremblement de terre ? Oui il ne s’agit pas ici que de fatalité mais aussi de folie humaine…

Et une fois encore hélas, l’exemple n’a sûrement pas été donné en haut de la pyramide. Avez-vous vu ce documentaire sorti en 2010 sur Berlusconi alors Président du Conseil ? « Draquila : l’Italie qui tremble » de Sabina Guzzanti. Dans une des séquences, on y voit Sylvio Berlusconi livrer lui-même des appartements reconstruits à l’Aquila quelques mois à peine après le séisme. Le « Cavaliere » est tout sourire, dents blanches face aux objectifs. Il ouvre le frigo et montre aux heureux locataires qu’une bouteille de Prosecco leur a même été offerte pour fêter ça. Puis Berlu file aussi vite qu’il est arrivé, dans son hélicoptère. Aujourd’hui ces logements sont inhabitables : malfaçon et danger d’effondrement. Sylvio a bien fait de ne pas s’éterniser…

Aujourd’hui, Matteo Renzi promet que tout sera fait pour ne pas reproduire les mêmes erreurs que dans les Abruzzes. « Chaque centime d’aide sera contrôlé ». Un « commissaire pour la reconstruction » va être nommé. Il pourrait s’agir de l’ancien président d’Emilie Romagne qui avait supervisé la reconstruction suite au séisme de 2012 là-bas. Lors de sa visite à Amatrice, le Président du Sénat Italien, Pietro Grasso a eu cette phrase : « Si les premiers édifices à s’écrouler sont des symboles de l’Etat comme les écoles et les hôpitaux, cela signifie que nous sommes incapables de respecter les règles ». Tout l’enjeu est là. Sachant que d’autres séismes se produiront inévitablement dans des secteurs ciblés de la péninsule où selon certains experts, 70 à 80% des constructions ne sont pas en mesure de résister aux séismes potentiels.

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Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.