À la fin du XIXe siècle, les Bergamasques ont inventé un formidable outil pour débarder les arbres de montagne : le tricâble. Présentation de cette invention méconnue grâce à laquelle ont pu être davantage exploités les bois des forêts françaises.

Le tricâble ? Une installation de transport des bois, longue de plusieurs kilomètres et fonctionnant à l’aide de la simple gravité, faite de bois, d’acier et de savoir-faire humain. La famille Moretti, originaire de Brambilla, nous conduira dans les Pyrénées ; comme d’autres Bergamasques, durant la première moitié du XXe siècle, elle y installa des tricâbles dont certains sont encore célèbres.

Les tricâbles, une invention des Bergamasques 
Avant que n’existent les routes forestières – qui ont remplacé les câbles de transport –, toutes les grumes (troncs d’arbres abattus) des montagnes de France étaient descendues par d’énormes installations de bois et d’acier selon un savoir-faire mis au point dans les Alpes bergamasques, encore austro-hongroises lors de l’invention des tricâbles. À l’époque, les possibilités de lançage de bois dans les pentes étaient toujours limitées. En France, durant un demi-siècle, la totalité des tricâbles fut installée et mise en œuvre par les inventeurs de ce téléphérique à la fois rustique et ingénieux. Le principe des téléphériques des stations de ski est à peu près le même. Il s’agissait alors d’un outil gigantesque, avec des tracés en parfaite ligne droite pouvant atteindre, comme à Laruns (Pyrénées-Atlantiques) 13 km, un record. Il est difficile de décrire rapidement les divers éléments d’un tricâble (cf. schéma ci-dessus) et d’expliquer comment, sans autre énergie que la gravité, des dizaines de millions de m3 de bois ont été ainsi débardés des hautes montagnes françaises.
Seul un film montre le montage d’un tricâble. Tourné en 1958 par l’École nationale des Eaux et Forêts de Nancy, il illustre on ne peut mieux les conditions de travail nécessaires pour le construire. Avant d’installer le câble lui-même, il fallait creuser, pour les ancrages en amont et en aval, des trous de 25 m3, capables de supporter des tensions de 10 à 15 tonnes. Il fallait monter des pylônes avec une partie des arbres, construire les quais de départ et d’arrivée des grumes, édifier les bâtis pour supporter les poulies. L’ensemble de ces travaux en bois était réalisé sur place, à la hache et au passe-partout. Un film du site du musée d’Udine permet de voir le fonctionnement d’un tricâble en 1948.
Dans les Alpes, le tricâble se répand très vite. En 1895, dans le seul Tessin, on comptait déjà 165 km de lignes de tricâbles. En 1878, c’est la famille Mazza qui en monte un en Haute-Savoie, une première en France. En 1975, c’est également un Mazza qui montera le dernier tricâble français à Cauterets (Hautes-Pyrénées). Les Mazza et leurs équipes de câblistes étaient, depuis 1917, devenus salariés de l’entreprise Lombardi et Morello. Ingénieurs, ce Suisse (du Tessin) et cet Italien (de Palerme) disposaient ainsi d’outils de débardage intégrés à leur entreprise de sciage et de construction de préfabriqués en bois. Avec plus de 1 000 employés à la fin des années 1930, l’entreprise béarnaise était devenue la plus importante de France dans ce domaine. Durant cinquante ans, tout leur approvisionnement dépendit du savoir-faire des câblistes italiens.

Michel Bartoli et Ode Pereira