Pour mes quarante ans, mes amis et ma famille ont eu la formidable idée de m’offrir quinze jours inoubliables à Rome. Les paroles s’en vont, les écrits restent. Alors je vais leur raconter et vous raconter ce séjour à travers ces chroniques.

Comme d’habitude, j’ai bien fait d’arriver en avance… La suite de cette chronique va vous le prouver.
La « Dante Alighieri » se trouve pourtant Piazza Firenze, à peine à dix minutes de mon appartement. C’est l’école où je vais suivre des cours d’italien pendant deux semaines. Le bâtiment est imposant mais s’apparente, de prime abord, à une « coquille vide ». La cour intérieure semble déserte et s’affiche résolument dépourvue de plantes ou même de fontaine dans une ville qui en compte des milliers. Volonté de laisser l’endroit débarrassé de tout élément superflu ou début de déclin ?

Un  concierge en uniforme d’époque est assis là sur une chaise. Il me fait penser à un personnage de cinéma italien mais le film ne me revient pas. Il faut dire que je suis en situation de stress, tendu vers l’objectif : atteindre au plus vite ma salle de classe. Vous souriez ? Mais essayez, l’espace d’un instant, de vous remettre dans la peau de l’élève que vous avez forcément été un jour et vous verrez que votre cœur va se mettre à battre plus vite. Non ?

On a tous forcément des mauvais souvenirs d’écoliers qui ressurgissent dans ces cas-là. Et puis arrive toujours un moment dans notre vie où on se dit fermement : « les études c’est bel et bien fini pour moi » sous-entendu la position de l’élève dominé aussi. Mais, je le répète souvent, si je suis journaliste c’est également pour apprendre des choses qui me sont inconnues,  tous les jours si possible. Autre élément oppressant qui s’impose à moi pour ce premier jour à la Dante : je pourrais être le père de pas mal d’étudiants que je croise. Beaucoup sont asiatiques, autant anglais ou américains, pour le reste c’est un melting-pot mondial.

Le concierge qui, malgré les apparences, s’affirmera, au fil des jours, pas si bourru que cela, m’indique la direction des salles (« aula ») de cour. J’entame l’ascension d’un escalier en pierre d’au moins cinq mètres de large, recouvert d’un tapis de velours rouge. Je n’ai pas particulièrement de goûts de luxe mais j’ai toujours aimé ce type d’endroit. Seul hic, l’austérité y prend souvent le dessus sur le majestueux…

Arrivé au second étage, je pousse une double porte à battant en bois vernis et ceint d’une formidable barre cuivrée oblique en guise de poignée. J’ai l’impression d’avoir remonté le temps. Je me mets en quête d’un secrétariat pouvant valider ma présence et m’indiquer la procédure à suivre. Par mail, on m’avait expliqué que je passerai un test, autre information qui contribuait à me rendre nerveux… Je ne vois toujours personne pour me renseigner dans ce hall. Je franchis donc un seuil.

Dans le couloir menant aux salles de classes, j’aperçois un autre homme du même acabit que le concierge, mais qui s’avèrera lui, un véritable austère, du genre à pas s’être tapé un bon fou rire depuis cinquante ans… Il est assis, là, derrière un bureau minuscule, surmonté d’une vitre en plexiglas, tel un ours empaillé du Muséum d’histoire naturelle. « Scusi » osai-je. L’homme se retourne brusquement vers moi, surpris visiblement que quelqu’un ait l’outrecuidance de lui demander quoi que ce soit.

Je vous épargne le charabia que je débite alors pour essayer de lui faire comprendre que je cherchais ma salle de classe, sans aucune indication sur mon niveau et sans aucun document attestant de ma simple inscription. Le gardien des lieux se met alors à m’observer comme si j’étais un demeuré. « Niente ? » me fait-il ? « Niente » réponds-je penaud. Oui je n’ai rien si ce n’est ma bonne foi. Un mail m’avait juste intimé l’ordre de me présenter ce lundi à 15h ainsi que tous les autres après-midis de cette semaine puis de la suivante, du lundi au jeudi.

Je crois qu’à ce moment-là, je fais paniquer Hagrid (c’est le gardien mi-ogre mi-géant de l’école d’Harry Potter pour ceux qui ne connaissent pas). L’homme d’un naturel plutôt taiseux enchaîne cinq ou six phrases d’un coup pour résumer ma situation. Puis, avec ses grandes mains, il se met à battre l’air en me demandant qu’est-ce qu’il peut bien faire dans ces conditions.

Heureusement une dame passe à ce moment-là et, s’arrête, sûrement alarmée par le chahut que commence à faire mon interlocuteur. J’essaie tant bien que mal de lui réexpliquer ma situation, le plus intelligiblement et sans m’énerver, commençant moi-même à être agacé par cette situation. Elle finit par me dire que le secrétariat n’ouvre qu’à 17h, soit l’heure de ma future pause et que vu mon niveau et les horaires qu’on m’avait proposé par mail, il vaut mieux que j’aille salle 5.

J’ai donc bien fait d’arriver trente minutes en avance, cette mésaventure vient de m’en grignoter vingt. Pour tuer le temps qu’il me reste avant ma « prima lezione », ma sauveuse me propose de m’installer dans ce qui ressemble à une bibliothèque, mais sans livres. En revanche, sur chaque table, un panonceau indique que le Wifi est en libre accès, ce qui pour les étudiants du XXIème siècle remplace sans doute tous les bouquins…

Je n’ai évidemment pas emmené mon ordinateur portable avec moi pour mon séjour et sors mon carnet qui m’a servi à prendre les notes ici retranscrites. Une jeune fille vient s’asseoir à côté de moi sans me saluer. Elle porte une robe d’été très courte. Face à elle s’installe une jeune femme voilée puis une bonne sœur. Joli melting-pot romain. Toutes les trois, contrairement à moi, sont connectées.

Je débarque en salle 5 à 14h59. L’enseignante n’est pas encore arrivée. Une dizaine d’élèves me lance un « Ciao » qui m’apparait alors comme complètement artificiel et je leur renvois, summum de la formalité, un bien timide « Buona Sera ». Top départ, la prof fait son entrée…

Plus de publications

Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.