Les lettres de Bartolomeo Vanzetti, dont nous citons les pages les plus intenses et dramatiques, contribueront, en 1977, à la révision posthume du procès des deux anarchistes injustement tués, qui émut et indigna le monde entier.

C’étaient les années de la peur « rouge ». Les grèves bouleversaient, d’une côte à l’autre, les États-Unis à peine sortis de la guerre. Les prix augmentaient, les ouvriers demandaient la revalorisation de leurs salaires et de nouvelles conditions de travail. L’Amérique répondait à cette intimidation en se raidissant et en cédant à l’hystérie, contre-attaquant par la « terreur de l’Amérique blanche ». Ainsi, à la vague de l’agitation syndicale succéda celle de l’intolérance politique.

C’était le procureur général Palmer, surnommé le « quaker luttant », l’une des figures les plus représentatives des années Vingt, qui menait la répression, souvent conduite de manière illégale. Le pays de la liberté plongea dans une atmosphère de suspicion, au point que le qualificatif de « radical » ou de « socialiste » était déjà une accusation redoutée. Dans les universités, dans les rédactions des journaux, dans le monde du théâtre, il suffisait de manifester des idées « libérales » pour se retrouver isolé par le sentiment général de défiance, alors que le Ku Klux Klan, dans sa folie puritaine, agitait le drapeau de l’américanisme pur. La haine envers les nouveaux immigrés, en particulier les Russes et les Italiens, se propageait.

L’année 1919 avait été celle des attentats terroristes, des colis piégés envoyés aux gouverneurs d’États, aux membres du Sénat, aux commissaires à l’immigration. Et suivit la chasse sans pitié aux anarchistes et aux sales perturbateurs.

L’affaire Sacco et Vanzetti éclata alors que s’achevait l’après-guerre, que l’enchaînement des grèves se faisait moins fréquent et que l’économie du grand pays retrouvait un équilibre plus certain. C’est dans ce contexte que le 15 avril 1920, à South Braintree, Massachusetts, eut lieu un vol, semblable à tant d’autres. Deux bandits agressèrent le caissier et l’agent de sécurité d’une fabrique de chaussures, alors qu’ils sortaient avec la caisse contenant les enveloppes de paie des employés. Six coups de revolver : Frederik Parmenter, le caissier, et Alessandro Berardelli, l’agent de sécurité, furent tués. Les bandits prirent la fuite avec 15 776 dollars.

Vingt jours après, alors qu’ils rentraient, en tram, de Bridgewater à Brockton, Sacco e Vanzetti furent arrêtés. Ils avaient sur eux du matériel de propagande anarchiste et étaient armés. Quelque temps après, le parquet les accusa du délit. Nicola Sacco était un cordonnier originaire du sud de l’Italie, qui s’apprêtait à rentrer au pays. Bartolomeo Vanzetti était un vendeur de poisson piémontais, qui avait vécu les expériences les plus humbles, mais était doté d’une forte personnalité et d’une certaine culture.

Malgré les protestations désespérées pour tenter de les sauver, ils furent condamnés à mort. Néanmoins, peu de temps après seulement, on commença à parler d’eux. Un journaliste de Boston attira l’attention sur leur procès, instruit selon des préjugés politiques et nationalistes, sans réelle défense, et sur la base de preuves extrêmement douteuses. Ainsi naquit l’affaire retentissante. L’opinion publique fut surtout marquée par la figure de l’anarchiste piémontais, par la dignité de son attitude et par sa force morale. Les manifestations de solidarité commencèrent partout dans le monde. À Paris, vingt-cinq mille personnes défilèrent toute une nuit durant devant l’ambassade américaine. Des personalités comme André Gide, Albert Einstein ou Georges Bernbard Shaw signèrent des pétitions pour la révision du procès.

Il en fut ainsi pendant des années. Les comités pro Sacco et Vanzetti recueillirent des fonds et organisèrent des associations de défense. Plusieurs journaux menèrent des enquêtes pour démontrer l’innocence des deux condamnés, qui devinrent le symbole de l’abus du pouvoir judiciaire et de l’intransigeance politique d’une certaine Amérique. Mais cela fut inutile. Après plusieurs renvois, dans la nuit du 22 au 23 août 1927, Sacco et Vanzetti furent conduits à la chaise électrique. Nombreux étaient ceux qui auraient pu empêcher l’exécution, mais aucun n’eut le courage d’assumer les responsabilités d’une telle initiative.

L’auteur John Dos Passos écrivit alors : « L’Amérique, notre nation, a été battue […] on ne voit pas, dans les rues, les hommes de la nation victorieuse – ils ont gagné – pourquoi ont-ils peur d’être vus ? Nous, nous envahissons les trottoirs mouillés, côte à côte, muets, pâles, fixant les cercueils de nos regards atterrés – nous, l’Amérique des perdants. »

Le comité pour la réhabilitation des deux Italiens n’abandonna jamais l’espoir d’obtenir un nouveau procès. Politiques et juristes continuèrent à travailler pour leur réhabilitation posthume, c’est-à-dire pour un acte de justice qui puisse racheter les institutions d’un pays démocratique après un épisode aussi infâme. Au début des années 1960, soit plus de trente ans après leur mort, les lettres de Bartolomeo Vanzetti à sa famille furent publiées pour la première fois, dans un volume des Editori Riuniti, Non piangete la mia morte (Ne pleurez pas ma mort). Il s’agit presque exclusivement de lettres envoyées depuis la prison de Charlestown, durant cette incroyable agonie qui dura sept ans. Peut-être plus encore que les écrits – aujourd’hui détruits – par lesquels, il y a plusieurs années, Vanzetti contribua à transformer son cas en un problème de conscience mondiale, ces lettres expliquent la personnalité d’un homme humble qui nourrissait de grands idéaux et qui devint la victime d’une erreur judiciaire. Un homme qui, pourtant, durant sa longue attente de la mort, ne céda jamais à un seul moment de faiblesse et encore moins de résignation. Bart, comme on l’appelait en Amérique, « l’anarchiste aux yeux rêveurs et dépourvus de tout sentiment de terreur », comme l’appelait en revanche John Dos Passos, a laissé, avec ces lettres, son autobiographie à la fois émouvante et déroutante.

Rocco Femia