Pour mes quarante ans, mes amis et ma famille ont eu la formidable idée de m’offrir quinze jours inoubliables à Rome. Les paroles s’en vont, les écrits restent. Alors je vais leur raconter et vous raconter ce séjour à travers ces chroniques.

A peine 8h30 et un soleil de plomb plane déjà sur la ville. Je sors sur le balcon. La terrasse de l’hôtel d’en face, qui, hier, alors que je m’endormais, donnait encore lieu à une fête romaine digne de « la grande belleza » s’est transformée en salle de petit déjeuner.

L’endroit s’affiche sélect avec ses serveurs en chemises blanches, gilets noirs et nœuds papillon. Magnifiques toits de Rome où la nuit dernière résonnaient quelques appels de mouettes, perdues, bien loin de la côte.

Mais il me faut revenir sur le plancher des vaches, cap sur le Vatican et la Place Saint-Pierre, le pape y célèbre, ce dimanche, une messe de canonisation de quatre sœurs. L’une d’entre elles, Jeanne Emilie de Villeneuve est toulousaine. Pourtant fille d’un comte, donc de bonne famille, elle consacra sa vie à venir en aide à ceux que l’industrialisation du XIXème siècle laissa dans la misère matérielle et spirituelle, comme le précise le livret de messe.

Je quitte mon quartier de Borghese-Tridente par la Via del Corso, traverse le Tibre Ponte Cavour et me retrouve sur la place du même nom face au monumental Palais de Justice. Je contourne le Castel San Angelo et rejoint la bien nommée Via della conciliazione.

Messe de canonisation de quatre religieuses. Cité du Vatican, 17 mai 2015. (photo PN)

Messe de canonisation de quatre religieuses. Cité du Vatican, 17 mai 2015. (photo PN)

La foule commence à y converger mais, pour l’heure, pas autant que je m’y attendais. Ici, plus de touristes que de fidèles sans doute. Premier poste de filtrage : les carabinieri y sont affables, nous faisant passer la frontière entre l’Italie et la petite enclave vaticane. L’un d’eux me demande d’où je viens. « Di Tolosa come la santa » lui répond-je avec humour. Il sourit.

Au deuxième contrôle, celui qui marque l’entrée dans le périmètre des travées réservées aux fidèles, l’ambiance s’annonce moins conviviale. Pourtant, toujours pas de file d’attente interminable …

La messe débute dans moins de dix minutes, mais le visiteur, fidèle ou pas, est en vacances et arrive quand bon lui semble. Je sors mon appareil photo et suis d’emblée frappé par les drapeaux qui sont distribués en même temps que ceux du Saint-Siège. Ce sont les étendards de la Palestine. François a officiellement reconnu l’existence de l’Etat cette semaine-là et une délégation a fait le voyage ce dimanche.

Je m’approche d’un groupe qui semble en faire partie. Certains y arborent fièrement le chèche, d’autres se sont drapés dans les couleurs de leur patrie. Ils ont l’air heureux et l’affichent. Je vais suivre une partie de la célébration à côté d’eux dans la travée. Parmi les quatre sœurs à l’honneur ce dimanche, deux d’entre elles, Mariam Bawardy et Marie-Alphonsine Ghattas, ont œuvré en Palestine et en Terre Sainte. Le Président de l’autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, est également présent.

Drapeau palestinien brandi durant l'office. (Photo PN)

Drapeau palestinien brandi durant l’office. (Photo PN)

Une clameur s’élève de l’assemblée : le pape fait son entrée. Atmosphère de concert de rock star. Les portraits des futures canonisées ont été accrochés aux façades du Palais Papal, surplombant la Basilique Saint-Pierre. Je me souviens avoir scruté frénétiquement, pendant de longues minutes, à la télé en direct, ce même balcon qui est là aujourd’hui sous mes yeux. J’y attendais l’apparition du nouveau pape en compagnie de ma fille. Quand celle-ci vit apparaître Bergoglio, elle n’eut comme seule exclamation : « Il est vieux, dis-donc ! »

Un « vieux » qui a malgré tout donné un bon coup de jeune à l’église. Je regarde encore des écrans, géants, mais ce dimanche je suis dans cette foule qui est filmée. Devant moi, un couple de sud-américains avec leurs deux garçonnets se partagent la rangée avec trois jeunes touristes russes, bourgeoises et bien courtement vêtues pour la solennité des lieux.

Entre les palestiniens et moi, se succèderont un couple de jeunes français très pieux, deux dames italiennes pipelettes comme pas deux, puis une mère et sa fille, françaises, très réservées au départ mais qui finiront par acclamer la papamobile telles des groupies déchaînées.

Mais nous n’en sommes pas encore là. L’office va durer deux heures. N’y voyez là rien que de très normal, rien de trop imposant ou soporifique non plus. Dites-vous simplement qu’il faut en décompter un bon tiers pour le rite de la communion, le temps que l’assistance circule et regagne sa place. Comptez environ vingt minutes pour la bénédiction papale et autant pour le tour de la Place en papamobile.

Avant cela, les premiers fans de François, réels ou de façade, sont les cardinaux, ici chez eux, et les autres hommes d’église invités pour l’occasion. Ils se pressent tous vers François pour lui glisser un mot à l’oreille et recevoir une sacrée tape sur l’épaule. « Ca c’est un type qui sait mobiliser ses gars » me suis-je dit en le voyant répéter ce geste de multiples fois sur l’écran géant.

Mais le véritable allant, Bergoglio ira le chercher ailleurs. Les bons chrétiens ne me jetteront pas la pierre pour l’ image précise que je garderai de cette matinée : cet octogénaire, dans sa drôle d’auto, fendant la foule, lui tapant dans les mains, l’haranguant, caressant des joues, se laissant embrasser les mains et baisant à son tour des joues d’enfant, le tout dans un tumulte à peine croyable.

Les rites ancestraux dans une codification moderne, voilà ce qui remplit encore certainement la monumentale Place Saint-Pierre de nos jours.  Je resterai un long moment après le départ du Saint-Père à regarder les fidèles quitter les lieux qui ne se videront pourtant pas pour autant.

Une file de visiteurs impatients s’est déjà formée devant l’entrée de la Chapelle Sixtine. Les sanctifications passées, la vie touristique reprend son cour.

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Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.