“Les Inoubliables musiques du cinéma italien”: c’est le titre de la manifestation consacrée au cinéma italien voulue par la revue Radici. Un voyage dans le septième art italien en passant par les grandes bandes originales de ses films.

Samedi 8 février 2014, Théâtre National de Toulouse. Un décor évoquant la Rome antique accueille le public qui a répondu nombreux à l’invitation de la revue RADICI. Neuf musiciens occupent le plateau du théâtre, tous des jeunes au talent affirmé. L’émotion est à son comble lorsque l’ouverture du rideau laisse apparaître l’illustration originale d’Umberto Grati « Les inoubliables du cinéma italien » évoquant un Fellini en guise de présentateur. La silhouette de Claudia Cardinale gagne le centre de la scène accompagnée des deux hommes qui ont eu l’idée de cette soirée, Rocco Femia et Jean A. Gili.
C’est Jean Gili, éminent critique et historien du cinéma italien, qui, en maître de cérémonie, évoque l’étincelle inspiratrice de la soirée : la publication du hors-série de la revue RADICI « L’Italie au miroir de son cinéma » qui marque les dix ans d’existence de la revue. Un partenariat éditorial avec la maison d’édition italienne Rizzoli et la revue L’EUROPEO. Un ouvrage qui constitue une formidable contribution à la connaissance du cinéma italien en France. Daniele Protti, directeur de L’EUROPEO, est là pour témoigner de cette collaboration.

Maintenant place à la musique

L’enthousiasme communicatif des musiciens (piano, violon, guitare, batterie, contrebasse, synthétiseur, saxophones, trompette) séduit immédiatement la salle. Le premier morceau est consacré à une composition de Piero Umiliani, Gassman Blues, écrite pour le film de Mario Monicelli, I soliti ignoti (Le Pigeon, 1958). L’influence du jazz sur le compositeur italien est remarquable dans ce célèbre morceau. Pour la suite du Pigeon, Audace colpo dei soliti ignoti (Hold up à la Milanaise, 1959), Piero Umiliani fait appel au trompettiste Chet Baker. Celui-ci collabore aussi avec Ennio Morricone en 1962 : ensemble, ils enregistrent quatre morceaux. Au début de 1964, à l’époque où le compositeur américain de l’Oklahoma séjourne à Rome, on le voit dans un film composé de sketches musicaux, Nudi per vivere d’Elio Montesti (pseudonyme pour Elio Petri, Giuliano Montaldo, Giulio Questi, les trois auteurs du film). Il faut rappeler qu’Ennio Morricone a d’abord joué de la trompette, instrument dont il disait : « C’est un instrument tellement intense qu’il faut l’utiliser avec parcimonie. »
C’est le moment de la comédie sentimentale Les hommes quels mufles (Gli uomini che mascalzoni, 1932) de Mario Camerini dont est tirée la chanson célèbre Parlami d’amore Mariù de Cesare Bixio – véritable icône musicale – chantée dans le film par un Vittorio De Sica à l’orée d’une immense carrière (la chanson sera reprise plus tard par Beniamino Gigli, Mario Lanza, Mario Del Monaco, Luciano Pavarotti, Mina et même en France par Tino Rossi). Le soir du 8 février, elle est interprétée par le grand ténor Jean-Pierre Furlan (natif de Muret, près de Toulouse, et originaire par ses parents du Frioul et de la Vénétie).
Sur l’écran, Ettore Scola – dans un message enregistré à Rome – salue le public toulousain, dit ses regrets de ne pas être présent, et manifeste sa joie de constater qu’en France on a toujours accordé une grande attention au cinéma italien.
Ainsi, il est bon de citer quelques noms de musiciens qui ont donné à la musique de films ses lettres de noblesse. On peut évoquer Renzo Rossellini qui signa beaucoup de partitions pour son frère Roberto – à commencer par Rome, ville ouverte et Paisà –, Giovanni Fusco dont le nom est étroitement associé à celui de Michelangelo Antonioni, Piero Piccioni à celui de Francesco Rosi, ou encore Armando Trovaioli – l’inoubliable compositeur de Rugantino, la comédie musicale qui fit le tour du monde – à Ettore Scola dont il composa la partition de tous les films, de Nous nous sommes tant aimés et Une journée particulière à Affreux sales et méchants et Gente di Roma.

Sur une mélodie de Nino Rota

Dans une soirée consacrée aux compositeurs italiens, il était impossible de ne pas présenter les musiques écrites par Nino Rota pour les films de Fellini : La Strada, La Dolce Vita, Huit et demi, Amarcord. La longue collaboration entre Federico Fellini et Nino Rota a permis au musicien de participer intimement à la création de l’univers singulier du grand cinéaste, il en a même dessiné certains des contours : « Notre entente, note Fellini dans un de ses écrits, n’a eu nul besoin de se roder. Je m’étais décidé à devenir metteur en scène et Nino Rota était là, tout prêt à m’y aider. Nino vivait la musique avec la liberté et l’aisance d’une créature qui vit dans une dimension qui lui est spontanément accordée. Ce petit homme, doux, gentil, toujours souriant, pouvait réellement s’envoler par la fenêtre, comme un papillon, entouré comme il l’était par une atmosphère magique et irréelle. »
Pour continuer à évoquer la figure de Nino Rota, le spectacle a rendu hommage à l’œuvre d’un Italo-américain originaire de la Basilicate (son père Carmine y était né), Le Parrain de Francis Ford Coppola. Coppola a fait appel au musicien de Fellini pour ce film, réalisé en 1972, et pour sa suite qui date de 1974. Pour la troisième partie, tournée en 1990 – Rota nous ayant quittés –, c’est Carmine Coppola lui-même qui écrira la partition en s’inspirant de l’illustre musicien italien. Pour « Les Inoubliables », la chanson Parla più piano, tirée du Parrain, est interprétée par le ténor Jean-Pierre Furlan.

L’insurpassable Ennio Morricone

Autre moment fort de la soirée, l’évocation de l’homme aux centaines de partitions, Ennio Morricone. Qui mieux que Claudia Cardinale pour présenter les séquences des musiques écrites par le compositeur pour les films de Sergio Leone, Le Bon, la Brute et le Truand (1966) et surtout Il était une fois dans l’Ouest (1968), film dont elle était la protagoniste aux côtés d’Henry Fonda, Charles Bronson et Jason Robards. Claudia Cardinale, dans un bonheur sans fin, rappelle que Leone avait l’habitude d’emmener les acteurs rendre visite à Morricone pour écouter la musique du film qui était composée avant le tournage. Expérience unique pour chaque acteur d’avoir une musique qui lui était spécifique et qui, de surcroît, était diffusée sur le plateau au moment des prises de vue, comme le souligne Claudia Cardinale : « Cela aidait beaucoup à se concentrer et à entrer dans la peau du personnage. »
Comme pour Nino Rota avec Fellini, Morricone a intimement participé à la création de l’univers sonore des films de Sergio Leone. Les vocalises des films Le Bon, la Brute et le Truand et Il était une fois dans l’Ouest, admirablement chantées à Toulouse par la soprano Cécile Limal, sont remarquables. Occasion de souligner le fait que Morricone aimait mêler la voix humaine aux instruments les plus divers : « Pour moi, déclarait le musicien, l’instrument par excellence, celui qui mélange les plus impressionnantes variations, du cri au murmure, c’est la voix humaine. »
L’intervention de Pupi Avati, metteur en scène, et de son frère Antonio Avati, producteur, jette un éclairage insolite sur la situation financière du cinéma italien : « Quand je me promène dans Rome – note le cinéaste – et que je tombe sur un tournage, s’il y a trois camions c’est un film, s’il y a quinze camions c’est un téléfilm. Il y a aujourd’hui beaucoup plus d’argent pour réaliser une fiction télévisée ou une mini-série que pour réaliser un film pour le cinéma. De toute façon, je tourne de la même manière pour le cinéma ou pour la télévision ». Pupi Avati, dont vient de sortir en librairie une autobiographie très bien accueillie en Italie, La grande invenzione, suscite l’hilarité du public en décrivant comment, lorsqu’il est en train d’écrire une scène, une lumière rouge s’allume devant lui s’il pense avoir besoin de deux cent cinquante cavaliers. La lumière ne passe au vert que quand, après des réductions successives, il se résigne à ne plus garder qu’une trentaine de cavaliers… Voilà un autre problème : les scenarios hélas sont écrits en fonction du budget et non pas pour suivre l’inspiration d’un récit. Pupi Avati tient ensuite à rappeler la richesse et la joie de sa collaboration avec le musicien Riz Ortolani qui vient de disparaître.

Hommage aux Oscars

L’orchestre interprète trois compositions tirées des films Mediterraneo de Gabriele Salvatores (musique de Giancarlo Bigazzi et Oscar du meilleur film étranger), Nuovo Cinema Paradiso de Giuseppe Tornatore (musique une nouvelle fois d’Ennio Morricone, lui aussi Oscar du meilleur film étranger), Il Postino de Michael Radford (oscar pour la meilleure musique de Luis Bacalov). Il Postino devait être dirigé par Massimo Troisi qui, très malade, confia la mise en scène à son ami Michael Radford. Le regretté acteur italien mourut à la fin du tournage.

Nicola Piovani et Franco Piersanti

C’est à Laura Morante de nous présenter les musiques de deux films de Nanni Moretti : La Chambre du fils (Nicola Piovani), Palme d’or à Cannes en 2001, dont elle était la protagoniste, et Le Caïman (musique de Franco Piersanti). L’actrice italienne rappelle le tournage de Sogni d’oro et de Bianca (où elle a le rôle-titre), toujours de Moretti, et souligne l’atmosphère de grande tension qui régnait sur le plateau. C’est connu : un tournage avec le cinéaste romain est toujours une grande aventure.
Nicola Piovani, auteur de la musique du film La Chambre du fils, évoque ainsi son travail avec le cinéaste : « Je connaissais Moretti depuis de nombreuses années […]. Et puis, sur La messe est finie, il avait décidé d’interrompre sa collaboration avec son ami, qui est aussi mon ami, Franco Piersanti, en me proposant de tenter l’expérience de travailler avec lui. […] Le travail que j’ai essayé de faire avec Nanni, et avec tous les autres réalisateurs d’ailleurs, ça été de faire naître la musique de l’intérieur du film, de l’âme du film. […] C’est ce qui s’est passé pour La Chambre du fils : c’est une musique extrêmement dépouillée avec seulement un piano qui joue délicatement, qui accompagne par exemple chaque moment où le psychanalyste va de sa maison à son bureau. Mais je ressentais, et j’espère que j’ai eu raison, que cette musique était ainsi particulièrement proche du personnage. »

L’actualité du cinéma italien

Invité à Toulouse où son film Viva la libertà ! vient de sortir, Roberto Andò parle de l’Italie d’aujourd’hui, de la liberté et du cinéma. En évoquant sa collaboration avec Toni Servillo, Andò explique qu’il est parti d’un roman qu’il avait écrit quelques années auparavant, Il trono vuoto (Le trône vide), et qu’il a eu envie d’en faire un film à condition de diriger Toni Servillo. De fait, le cinéaste sublime le talent du comédien qui joue dans un double rôle et réussit la gageure, sans aucun artifice, de passer d’une personnalité à l’autre dans une totale lisibilité pour le spectateur. L’un replié sur lui-même à la recherche d’une nouvelle énergie qui lui permettrait de reprendre ses fonctions politiques ; l’autre éprouvant le plaisir de dénoncer l’hypocrisie et de délivrer un appel à la responsabilité. Dans ce beau film, Andò utilise aussi de façon expressive – ce qui ne surprend pas lorsqu’on sait qu’Andò met en scène des opéras dans les plus grands théâtres italiens – des extraits de La Force du destin de Verdi.

Un final en musique

La soirée touche à sa fin, et l’émotion est palpable. L’orchestre exécute le dernier morceau, La Vie est belle, de Roberto Benigni, introduit par une allocution du directeur de RADICI, Rocco Femia (voir encadré ci-contre). La Vie est belle, un film qui triompha à Cannes et qui fut également « oscarisé » comme meilleur film étranger, meilleur acteur pour Roberto Benigni, et surtout – compte tenu des circonstances – meilleure musique pour Nicola Piovani. À propos de Benigni, le compositeur avait souligné lors d’une interview : « Benigni est un génie vivant, un poète à la fois corporel et spirituel. Il ressemble à un décasyllabe italien, un vers capable de raconter avec efficacité le quotidien le plus simple et le sublime le plus divin – si l’on peut parler de divin. »
La musique envahit la salle. Les deux chanteurs, Cécile Limal et Jean-Pierre Furlan, au milieu de la scène, entonnent en italien la chanson du film sur un texte de Roberto Benigini. Un message d’optimisme pour clore une soirée « inoubliable » bien sûr.