Interview à Luigino Bruni, professeur à l’université Bicocca de Milan, historien de la pensée économique.

L’histoire des jeux de hasard est une histoire sans âge, mais elle est très actuelle en Italie, ce qui en dit long sur un pays plutôt hypocrite au vu de sa misérable réglementation. Quel est votre avis à ce sujet?

Tant que le gouvernement Renzi ne mettra pas fin aux jeux de hasard et fera preuve de clémence à l’égard des salles de jeux illégales, je ne pourrai pas croire qu’il est du côté des pauvres. Les jeux de hasard détruisent notre économie, les personnes âgées, les pauvres, ils volent l’âme de notre pays. Presque 90 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel en Italie, sans compter la partie illégale. Des milliards exemptés de TVA qui ne participeront pas à l’achat des produits de nos entreprises, qui ferment par manque de demande. Il y a dans les centres historiques de nos villes de plus en plus de salles de jeux qui prennent la place de cinémas et de boutiques d’artisans qui, en cette période de crise, ne peuvent que céder aux généreuses propositions d’achats faites par des marchands qui se sont enrichis avec l’argent des pauvres et de ceux qui n’ont plus d’espoir. Des salles tristes, glauques, qui rendent nos villes et nos villages tristes et désolants.

Sans parler de notre Parlement qui, bloqué par les lobbies, ne propose aucune règle qui ait une once de bon sens, comme une certaine distance entre les salles de jeu et les écoles, l’interdiction de promouvoir les jeux de hasard à la télévision, la transparence de ces entreprises ou l’augmentation du taux, ridicule, d’imposition sur les recettes qu’ils engendrent (en moyenne moins de 10 %, alors que le revenu des sociétés est imposé à environ 30 %, et celui du travail à 40 %).

Comment a-t-on pu passer de la prohibition absolue d’il y a quelques années (l’activité était entre les mains de la pègre) à la libéralisation à outrance d’aujourd’hui, ce qui, par certains aspects, a aggravé la situation ?

La situation actuelle est le fruit empoisonné du projet intentionnel et irresponsable d’une politique qui pense répondre à la crise économique de notre pays en faisant du profit sur le désespoir des familles. Les machines à sous dans les bars ont été introduites en Italie il y a plus de vingt ans, avant il n’y en avait pas. Avec les machines à sous sont arrivés les jeux à gratter qui se sont ajoutés aux anciennes loteries nationales, pour ensuite les remplacer. Les paris sportifs ont pris la place du célèbre Totocalcio (jeu de pronostics sur les matchs de football en Italie depuis 1946, ndr), et, chose absurde, ils ont même contribué au financement de la reconstruction de l’Aquila grâce à une nouvelle génération de machines. C’est comme dire que l’on soigne la souffrance induite par le tremblement de terre en infligeant une autre souffrance. Il n’y a pas plus stupide !

Propos recueillis par Rocco Femia

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