Dans mon dernier éditorial, je vous conseillais le film de Fernando Muraca, La Terra dei Santi, qui vient d’ailleurs de recevoir le Prix spécial du Jury Fiction du Festival du cinéma italien d’Annecy.
Un film sur la mafia calabraise et sur le rôle des femmes. Aujourd’hui, je voudrais vous parler d’un livre sur la sagesse des enfants écrit par un auteur-compositeur, ancien cheminot.
Je parle du dernier ouvrage de Gianmaria Testa : Il sentiero e altre filastrocche, publié en Italie par Gallucci editore. Gianmaria Testa, cette fois, ou peut-être devrais-je dire comme toujours, donne la parole aux enfants, qui, avec leur simplicité clairvoyante, expliquent le monde aux adultes. Par jeu, ou bien de façon plus sérieuse, toujours est-il que l’auteur et ses comptines parlent d’un monde, celui des enfants, le seul peut-être à pouvoir nous sauver. Testa a toujours eu la conviction de devoir écrire et chanter le strict nécessaire, sans prêter attention aux modes et sans trop de mots. Et il reste fidèle à lui-même avec ce livre.
Après des mois d’absence, il est sorti de son silence en avril dernier, révélant être tombé malade et avoir dû s’arrêter pour prendre soin de lui. « Mon point de vue n’a pas changé avec la maladie – a déclaré le chanteur – mais il s’est ajusté ; nous sommes habitués à vivre et à nous comporter comme si nous étions immortels. Je ne le pense plus, pas même par négligence. » Toujours réservé face aux flatteries, héritage, sans doute, de son passé de cheminot, Testa s’est inventé une passion pour l’écriture directement adressée au monde des enfants, mais en réalité nécessaire aux adultes. Et voilà donc son nouveau livre, Il sentiero e altre filastrocche, illustré par Valerio Berruti, né en 1977. Entre eux est née une véritable complicité éditoriale. « Les enfants ont souvent des mots plus évidents et plus clairs pour dire les choses même les plus compliquées. Et puis je suis un fan de Gianni Rodari, qui m’a apporté bien plus que d’autres auteurs “primés” ».

Les trois textes qui composent le livre ont pour trame un espoir vital en l’avenir, mais Testa est allé au-delà, réfléchissant aussi sur le thème des migrations, imaginant un monde sauvé par les enfants, capables, eux, d’affronter la réalité avec ingénuité, sans les préjugés des adultes. Comme par exemple dans la comptine Il sentiero, dans laquelle Testa écrit : « En tout cas nous ne savons pas où nous mène cette route / si elle est longue comme le monde, droite ou bien tordue / nous la prenons pour partir / nous quittons tout, nous quittons la ville. / C’est ce que dit la petite fille à ce policier sévère / et puis sans attendre davantage, elle pédala vers le sentier : car c’est de cela qu’il s’agissait, pas de route ou d’autre chose / seulement un moyen de partir, de s’en aller, tous. » Et il poursuit dans Le parole straparlate, les mots vides de sens, qui sont toujours ceux des adultes : « Ce n’est pas la faute des enfants / si les adultes parlent mal / ils sont venus au monde / sans en dire des mots », pour conclure que « celui qui blesse les mots, par les mots périt ».

Une fois le livre refermé, on peut se demander quel doit être, selon Testa, le juste rôle de l’intellectuel et voici sa réponse : « L’un des devoirs de celui qui fait quelque chose de public est de ne pas détourner le regard ».

Voilà qui est bien dit. Peut-être que certains trouveront prétentieux le fait d’avoir employé un langage, une forme et des yeux moins abimés par le temps, comme ceux des enfants justement, pour chercher à redécouvrir l’enfance qui est restée en chacun de nous et qui peine à affleurer dans un monde toujours plus pressé. Parce qu’un enfant ne peut ni ne doit nous faire réfléchir que quand il meurt sur une plage. Parce que les enfants ne sont ni tristes ni sérieux. Songeurs peut-être, mais conscients du temps indéfini qu’ils ont devant eux et au cours duquel tout peut encore arriver. Le beau comme le bon. À une condition cependant, que nous, adultes, redécouvrions le monde avec leurs yeux.

Rocco Femia, directeur de RADICI

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Rocco Femia, éditeur et journaliste, a fait des études de droit en Italie puis s’est installé en France où il vit depuis 30 ans.
En 2002 a fondé le magazine RADICI qui continue de diriger.
Il a à son actif plusieurs publications et de nombreuses collaborations avec des journaux italiens et français.
Livres écrits : A cœur ouvert (1994 Nouvelle Cité éditions) Cette Italie qui m'en chante (collectif - 2005 EDITALIE ) Au cœur des racines et des hommes (collectif - 2007 EDITALIE). ITALIENS 150 ans d'émigration en France et ailleurs - 2011 EDITALIE). ITALIENS, quand les émigrés c'était nous (collectif 2013 - Mediabook livre+CD).
Il est aussi producteur de nombreux spectacles de musiques et de théâtre.