IPPO POLLINA
Le souvenir de Gianmaria Testa m’amène à quelques réflexions que je voudrais partager avec vous. J’ai suivi son parcours artistique avec intérêt et parfois même avec une attention admirative.
Quand Gianmaria Testa est apparu sur la scène italienne, grâce au célèbre concert à l’Olympia de Paris (le 11 février 1997) qui le mit sous le feu des projecteurs, la chanson d’auteur était déjà considérée comme un art désuet. Elle avait été mise à genoux par un ensemble de forces hostiles : une industrie discographique uniquement intéressée par le profit, des institutions incapables de valoriser le talent et des médias aux ordres des logiques du pouvoir. Si l’on ajoute le rôle central que la politique a toujours joué dans les dynamiques culturelles de l’Italie, on comprend pourquoi les chansons de Gianmaria Testa devaient être semées ailleurs pour pouvoir ensuite grandir et se développer.
Cependant, au fil des ans, grâce à un habile travail de diffusion et de réseaux professionnels et artistiques, Gianmaria Testa a réussi à trouver aussi en Italie un public à l’écoute et manifestement nombreux. La multiplication de collaborations prestigieuses et de contacts déterminants a favorisé la diffusion de ce chansonnier doté d’une grande sensibilité. Des compositions rigoureuses et jamais flagorneuses. Des mélodies et des paroles mesurées, des entretiens sympathiques mais toujours denses. Avec le temps, les chansons de Gianmaria sont également entrées sur le continent de langue allemande, leur offrant un public qui a toujours aimé et considéré les chansons comme un élément de la culture populaire et cultivée. Dans le sillage de Fabrizio De André, Léo Ferré, Jacques Brel, Joan Manuel Serrat, Konstantin Wecker, Mani Matter, Georges Brassens, Victor Jara, Silvio Rodriguez, Chico Buarque de Hollanda, Vinicius de Moraes, et de tant d’autres encore que je ne cite pas, il existait dans la grande Europe un public transversal, jeune et adulte, qui attendait (et continue d’attendre) la voix des poètes, ce ton critique dont un continent aussi difficile que le nôtre a absolument besoin pour interpréter ses mouvements continus.
Contrairement à de nombreux collègues plus connus en Italie, Gianmaria Testa a trouvé à l’étranger un public qui l’a accueilli comme un véritable poète de la chanson. Sa voix a su dialoguer avec les grandes traditions musicales européennes, entrant en résonnance avec des artistes tels que Fabrizio De André, Jacques Brel et Georges Brassens.
Nous étions invités dans les mêmes festivals de chansons d’auteurs, et les rencontres n’ont pas manqué. De plus, il venait souvent dans la ville où je vis depuis de nombreuses années, Zurich, pour présenter ses œuvres discographiques, se livrant volontiers à des performances transversales, souvent avec des musiciens de jazz. Je me souviens d’une rencontre où nous parlions de la façon dont la musique peut encore raconter des histoires importantes sans céder aux modes. Sa gentillesse et son regard toujours attentif porté sur les plus humbles m’avaient profondément touché. Il était non seulement un artiste raffiné, mais aussi un homme qui croyait en ce qu’il chantait. Même si l’histoire de Gianmaria Testa était très différente de la mienne, nous avions un élément en commun : la condition première pour pouvoir exister et ensuite être diffusé avait été trouvée au-delà des Alpes. La graine avait été semée ailleurs, elle serait morte, sinon, dans la salle d’attente d’une gare secondaire.
Voir les journaux télévisés nationaux consacrer quelques minutes de souvenir aux chansons et aux réflexions de Gianmaria Testa provoque en moi un sentiment ambivalent. De justice d’abord : la chanson d’auteur italienne a perdu l’un de ses grands interprètes, quelqu’un qui l’a représentée à l’étranger dans une « presque » solitude, et au plus haut niveau. Et puis, au contraire, de grande colère : la récupération des médias est insupportable. Mais où étaient tous ces gens avant ? Pourquoi Gianmaria Testa ne passait-il pas à la télévision dans les émissions phares ? Pourquoi n’ai-je jamais vu les images d’un concert en direct à la télé ? Pourquoi n’était-il pas convié à Sanremo comme invité d’honneur ?
Gianmaria Testa a laissé une empreinte profonde dans la chanson d’auteur, en lui redonnant dignité et poésie, y compris dans un contexte difficile. Son parcours, fait de talent et d’obstination, est la preuve que l’art véritable trouve toujours sa voie. Pour cela, nous continuerons à l’écouter et à lui être reconnaissant.
P.P.