Se laisser quelques jours de réflexion. Laisser aussi quelques jours aux autorités pour justifier l’injustifiable. Se laisser quelques jours pour se demander si c’est bien la peine de refaire un énième papier sur un naufrage de migrants même si la rage et l’indignation sont toujours là, plus fortes que jamais sans doute…

Le 26 février dernier donc, à quatre heures du matin, le long des côtes de Calabre, un bateau fait naufrage. On dénombre au moins 67 morts dont 13 enfants et un nourrisson. Trente-sept autres passagers sont portés disparus sans évidemment, comme à chaque fois, qu’on connaisse leur nombre exact.

À quatre heures du matin, il faisait nuit. Les vagues devaient être dantesques dans un vent de force 7 (eh oui je l’ai déjà écrit la Méditerranée n’est pas qu’une pataugeoire à touristes, elle tue parfois des marins, des pêcheurs mais aussi des migrants). L’embarcation de fortune n’était évidemment pas dotée de balises de détresse ou de localisation. Vu sous cet angle, que pouvait-on faire pour eux ?

Dire déjà que leur bateau de bois a été repéré, la veille, en difficulté, à 40 miles (74 kilomètres) des côtes par un avion du dispositif européen Frontex. Que des garde-côtes italiens avaient.

Maintenant que le terrible naufrage a eu lieu, la vraie question est la suivante. En quoi consiste la politique de Georgia Meloni face à ces drames migratoires qui se succèdent, sans qu’une déferlante de nouveaux arrivants ne s’abatte sur l’Italie ? Un nouveau « code de conduite » imposée par loi aux bateaux humanitaire qui enfreint clairement le droit de la mer et les conventions internationales dont son pays est signataire.

Un navire de Médecins sans frontières s’est vu bloqué vingt jours dans un port de Sicile. Et le Sénat vient donc d’adopter cette loi qui impose à un bateau humanitaire de rentrer dans un port du nord après chaque sauvetage d’embarcation et ce, sans possibilité de se dérouter pour en sauver une autre. Cette loi scélérate et contraire au droit international est une chose.

Mais l’action des garde-côtes, elle, et leur conscience en sont une autre. Ne peuvent-elles pas s’opposer aux décisions de cette majorité d’extrême droite qui dirige le pays ? « Nous sommes pour le moins tout proche de la non-assistance à personne en danger » s’insurge la Stampa ce mercredi 1erMars quand La Repubblica titre « personne n’a voulu les sauver ».

Dans Libération, Éric Jozsef relate le témoignage d’un pêcheur de Cutro appelé par un de ses amis garde-côtes. « Va voir sur la plage ce qu’il s’est passé, nous savons qu’un navire a subi une avarie » lui demande-t-il. Et l’homme de mer de raconter l’hécatombe qu’il a sous les yeux, et cette fillette de 6 ou 7 ans qu’il récupère alors qu’elle respire encore mais qui mourra quelques minutes plus tard sur la plage.

Dans ce même quotidien national, ce jeudi 2 mars, François Héran explique qu’il n’y a pas à être pour ou contre l’immigration : « il faut faire avec, vivre avec, sous certaines conditions ». Elle fait partie intégrante de l’histoire de notre humanité. L’idée qu’on pourrait en décréter une réduction drastique est « un déni de réalité » explique le sociologue et démographe.

Pour en revenir au naufrage de Cutro en Calabre, Frontex et le gouvernement italien se rejettent maintenant la faute. Le ministre de l’Intérieur de Meloni n’a pas hésité à accuser les migrants eux-mêmes et « des conditions de voyage qui mettent en danger la vie des enfants ». Une belle âme…

Quoi qu’il en soit, aucune faute rejetée sur l’autre (garde-côtes, Frontex, parlementaires votant les lois, passeurs, migrants eux-mêmes…), aucun motif technique ou météorologique ne saurait justifier la mort d’au moins 67 êtres humains, naufragés à 150 mètres des côtes italiennes.

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Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.