La fillette tremble de peur, ses sanglots sont étouffés mais impossibles à faire cesser. C’est son propre père qui la filme. Ce dernier l’a fait pour pouvoir ensuite dédramatiser l’évènement avec elle, sa petite sœur et leur mère. Tous sont des rescapés du Costa Concordia. Moi-même pris dans la tempête du 11 novembre dernier au large de Venise, ayant failli chavirer, sans gilet de sauvetage à disposition et installé sous la ligne de flottaison, je comprends cette peur qui saisit, l’impuissance qui a du être la leur et la terreur supplémentaire de sentir dans ce drame ses enfants à ses côtés (ce qui n’était heureusement pas mon cas).
Cette famille italienne raconte donc ce dimanche soir à Renaud Bernard, leurs souvenirs de ce naufrage, dans le journal de 20h de France2. Le père de famille n’a pas filmé l’instant du choc parce qu’il passait à table dans la grande salle de restaurant à ce moment-là mais sur ces bandes la longue errance des passagers dans les couloirs du Paquebot, les cris, et puis surtout l’instant où le navire s’est couché sur le flanc.
Dimanche 13 janvier, cette catastrophe maritime tue 32 personnes au large de l’île du Giglio. C’était il y a un an. Peu de victimes sont allées se recueillir sur les lieux du drame. Le traumatisme est encore trop lourd pour nombre d’entre elles. En revanche, ils seront des centaines à témoigner lors du procès. Principal accusé le capitaine du Costa Concordia : Francesco Schettino. Il encourt jusqu’à 20 ans de prison pour les chefs de naufrage, homicide par imprudence et abandon de navire.
Il faut lire son portrait sous la plume de Benoît Vitkine dans le Monde Magazine de cette semaine. Un des cousins du capitaine a contacté le journal pour apporter son témoignage mais il veut rester anonyme : « Pour mes enfants… Costa est puissant et puis tout cela se passe dans la région de Naples… Vous comprenez ? ». Pourtant dans le village de pêcheur de Schettino, à Meta di Sorrento, le marin est encore soutenu : « Un homme respectable qui a eu un accident reste un homme respectable » lâche au journaliste français un habitué du bar du coin.
Que dire aussi de ces passagers paniqués qui ont écrasé femmes et enfants pour embarquer les premiers dans les chaloupes. Comment arrivent-ils aujourd’hui à vivre, la conscience si lourde d’actes aussi impardonnables. Oui mais voilà, qu’aurions-nous fait à leur place ? Aurions-nous été capables de surmonter cette peur de la mort qui déshumanise ? Serions-nous restés dignes ?
Schettino, lui, s’époumone à raconter depuis la catastrophe, qu’il a sauvé des milliers de vie en ramenant le bateau près de l’île. Ce n’est pas l’analyse de la capitainerie de Livourne. Le célèbre « remontez dans le bateau, merde ! » du commandant Gregorio De Falco en poste ce soir là sur la côte restera dans les mémoires. L’article du Monde Magazine se clôture par ce néologisme relaté par un journaliste romain : « savez-vous qu’en italien, « schettinate » est devenu synonyme de « faire de la m…e » ? ».
Mais ne tombons pas, même s’il y aurait beaucoup à dire sur lui, dans l’exécution d’un bouc-émissaire. D’autres journaux sont même allés jusqu’à des amalgames douteux : « Vous trouvez ça étonnant que le commandant ait été un Italien ? » s’interroge Der Spiegel. Pourquoi un journal allemand dont le peuple a si souvent été, lui aussi, l’objet d’amalgames, se livre-t-il ainsi à des raccourcis nauséabonds. Même si comme nous le relate encore Benoît Vitkine, « nombre d’italiens ont reconnu en Schettino, une sorte de double refoulé, un cousin qui vous fait honte lors des repas de famille mais qui vous ressemble tant ». On en a tous, non ?
Au-delà du capitaine, il y a aussi une compagnie : la Costa. Pour les cérémonies de ce week-end, elle n’avait invité que les proches des victimes décédées. La compagnie a déconseillé aux autres de se déplacer invoquant « des raisons logistiques ». Elles se sont organisées, seules, mais une fois encore accueillies par une population locale partagée entre la générosité dont elle avait fait preuve le soir du drame et la gêne qui commence à s’installer face à cette carcasse de paquebot qui ne cesse de leur rappeler l’horreur. Le remorquage n’aura pas lieu avant l’été prochain.
Pour éviter un trop grand nombre de plaignant Costa Crociere a proposé 11000 euros à chaque rescapé en échange de l’abandon des poursuites judiciaires. Ils sont nombreux à avoir refusé et iront donc au tribunal de Grossetto. C’est probablement dans cette ville de Toscane que débuteront les audiences en avril prochain. Nul doute que là encore, il faudra que chacun s’efforce de rester digne dans la tempête.

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Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.