« Scorsese, l’italo-américain » le documentaire actuellement visible sur Arte à la demande pose la question. Yal Sadat et Camille Juza s’interrogent pour savoir si le réalisateur est un américain trop italien ou un italien trop américain. Et s’il n’avait pas eu besoin de choisir finalement comme son œuvre le prouve ?

Qu’est-ce qui pousse un homme à partir de chez lui ? Nous avons souvent posé la question ici. Dans le documentaire qui lui est consacré, la famille de Martin Scorsese est très présente. Il a beaucoup filmé sa mère et son père, et les a même parfois carrément intégrés dans ces films. Son père explique que le grand-père Scorsese « voulait l’Amérique ». Rien de plus. Comme une évidence qui s’était imposée à lui et donc à ses enfants et leurs descendants.

« Sûr de son identité »

« Nous, on était absolument sûr de notre identité » affirme le réalisateur qui grandit dans sa communauté du Little Italy new-yorkais. Et pourtant posent en préambule les auteurs du doc : « ne sachant même pas la langue que ses parents parlent entre eux, Marty sait qu’il n’est pas italien. Mais il sait aussi qu’il n’a pas l’étoffe d’un cow-boy américain ».

« Réalisateur social », « porte-voix d’une minorité », les étiquettes qui lui sont rapidement collées vont lui mettre la pression. Son premier court-métrage d’étude s’inspirerait d’un de ses oncles mafieux. Et pour le reste de sa filmographie, De Niro incarnera « un double fantasmatique », le gangster que « Marty » aurait pu devenir. Et pendant qu’il se cherche encore, Coppola et son « Parrain » préparent l’Amérique à ses futurs anti-héros.

Il aurait voulu devenir prêtre

Mais au-delà, où retrouve-ton, dans son cinéma, cette double identité imposée ou bénéfique à Scorsese ? Dans le rapport à la religion de celui qui voulait devenir prêtre avant de faire des films. Dans ses blondes héroïnes, saintes ou putains. Son éducation catholique, qui a aussi façonné son identité, il la défie avec « la dernière tentation du christ ». Le film fera scandale aux Etats-Unis comme en Europe où un cinéma est incendié à Paris.

Pasolini mais aussi d’autres grands maître du 7ème art italien l’ont largement inspiré. Inconsciemment ou pas, il retourne vers eux en épousant Isabella Rossellini. Mais « en s’émancipant de leur communauté, Scorsese et ses personnages de grands perdants vont renoncer au seul privilège des minorités : être sûr de son identité » décrypte très justement le documentaire.

Héritage italien

Mais comment véritablement se délester de son héritage italien ? Et le faut-il vraiment ? Quitte à en montrer les travers et les tares. Jack La Mota n’est pas le valeureux et méritant Rocky Balboa rappellent les documentaristes. Acteurs des « Affranchis » et de « Casino » n’ont pas que des louanges à tresser à la communauté sicilienne dont ils sont issus. A son grand désarroi, Scorsese passe toutefois beaucoup de son temps à expliquer que la grande majorité des italo-américains ne sont pas des mafieux.

Dans les années 90, l’enfant de Little Italy devenu une star est célébré par les médias comme « l’ambassadeur des italo-américains ». Double hommage à ses racines, en 2002, il tourne « Gangs of New-York » dans les studios de la Cinecittà. Son acteur fétiche d’alors est un autre ressortissant italo-américain : Léonardo Di Caprio.

Le cinéma « Parc d’attraction »

Mais déjà l’époque change… Parler de ses origines, de la condition sociale ou de l’adaptation que ça entraîne n’est plus très en vogue à l’ère du cinéma « Parc d’attraction ». Ces nouveaux films « sont comme un tour de manège » assène Scorsese sur des images d’un xième Marvel. Les studios Disney lui rétorquent qu’ils produisent aussi « Black Panther ».

Évidemment Scorsese n’a pas dit son dernier mot avec « The irish man » pour la plateforme Netflix et « killers of the flower moon » pour le grand écran. Là encore deux productions qui interrogent sur l’identité et les origines, et ce qu’on en fait pour se construire une destinée. Yal Sadat et Camille Juza font dire à leur narratrice cette magnifique phrase en guise de conclusion : « Scorsese a mis en scène sa communauté pour mieux mettre en scène l’Amérique ».

Italien ? Américain ? Martin Scorsese n’a pas choisi. Et tant mieux. 

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Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.