Il est un fil qui traverse l’Italie comme une vigne qui s’accroche à sa terre, des Alpes enneigées jusqu’aux îles embrassées par le soleil. Un fil liquide, parfumé d’histoire et de tradition : le vin. Parcourir la Péninsule à travers ses vignobles signifie faire un voyage dans le temps et dans l’espace, découvrir des terres anciennes et des mains habiles qui, depuis des siècles, font du raisin une culture, une identité et une passion.
ALESSANDRA PIERRINI
L’Italie est une terre de vin. Quand les Grecs arrivèrent sur ses côtes méridionales, ils l’appelèrent Enotria, terre du vin, reconnaissant son potentiel extraordinaire. Cependant, c’est avec les Romains que la viticulture est devenue un art raffiné. En effet, ils ont été les premiers à comprendre l’importance du terroir, à classer les zones viticoles et à généraliser la culture de la vigne dans tout l’Empire, faisant d’elle un symbole de civilisation. Aujourd’hui, cet héritage se perpétue grâce aux 600 cépages autochtones enregistrés – un record mondial – faisant de l’Italie le pays possédant la plus grande biodiversité vitivinicole.
Mais qu’est-ce qui rend le vin italien unique ? La réponse est inscrite dans la terre même : des Nebbiolo qui mûrissent dans les brumes piémontaises aux Nerelli Mascalese cultivés sur la lave de l’Etna, des blancs parfumés des Dolomites aux rouges corsés de la Maremme, chaque vin est une géographie liquide, un récit au goût de soleil, de vent et d’histoire.
Ce n’est pas seulement une question de quantité ou de qualité. L’Italie entretient avec le vin une relation différente de celle de tout autre pays. Si la France a su construire un mythe autour du Champagne, du Bordeaux et du Bourgogne, l’Italie répond par une extraordinaire capacité à conjuguer l’excellence et le quotidien. Ici, le vin est roi de toutes les tables, depuis le Brunello di Montalcino, qui vieillit patiemment dans les caves, jusqu’au verre de Montepulciano d’Abruzzo, servi avec des pâtes en sauce. C’est une question de culture, d’identité, un art de boire qui se transmet comme une langue maternelle.
En 2023, l’Italie a enregistré une consommation de 21,8 millions d’hectolitres de vin, deuxième en Europe, derrière la France (24,4 millions). Dans le marché intérieur, le Chianti, le Prosecco et le Montepulciano d’Abruzzo dominent, tandis qu’en France, c’est la demande en vins siciliens, apuliens et piémontais tels que le Barolo, qui est en hausse. Les rosés et les vins mousseux italiens séduisent également la jeune génération, prouvant que le vin transalpin n’est pas seulement tradition, mais aussi innovation et tendance.
L’innovation justement est l’un des nouveaux visages de l’œnologie italienne : l’essor des vins biologiques, biodynamiques et naturels, marque une révolution silencieuse, mais incontournable. De plus en plus de producteurs optent pour des pratiques durables et réduisent l’utilisation de produits chimiques ou de technologies pour redonner au vin son âme authentique. Le marché mondial réagit avec enthousiasme : ces vins affichent une croissance annuelle de 12 %, s’imposant au goût de consommateurs de plus en plus responsables.
Ainsi, gorgée après gorgée, le vin italien continue de raconter son voyage millénaire.
LE NORD
MONTAGNES, COLLINES ET VIGNOBLES HÉROÏQUES
Dans le nord de l’Italie, le vin est une conquête, le fruit d’une viticulture qui défie les montagnes, les collines escarpées et une météo imprévisible. Dans le Val d’Aoste, les vignes grimpent jusqu’à 1 200 mètres d’altitude. C’est là que naissent des vins comme le Blanc de Morgex et le De La Salle, un petit chef-d’œuvre obtenu à partir du Prié Blanc, un cépage autochtone ayant survécu au phylloxéra grâce à l’altitude élevée. Ce vin blanc minéral et vibrant se marie bien avec la fondue valdôtaine ou la truite de montagne.
Plus au sud, dans le Piémont, le Nebbiolo règne en maître absolu. Le Barolo et le Barbaresco, avec leur aptitude à évoluer dans le temps, naissent du brouillard qui caresse les collines et donne son nom à ce cépage. Jusqu’au XIXe siècle, le Barolo était moelleux, mais la marquise Giulia Colbert Falletti et l’œnologue Louis Oudart le transforment en un rouge structuré et complexe. Il obtient alors un grand succès si bien qu’il remporte le titre de « vin des rois, roi des vins ». À ses côtés, le Barbera exprime la vivacité, et le Gavi, issu du cépage Cortese, brille par sa fraîcheur minérale.
Tournée vers la mer, la Ligurie est une terre où la viticulture est une entreprise presque héroïque. Ici, les vignes poussent sur des terrasses arrachées à la roche, et les paysans doivent aujourd’hui encore transporter les raisins à dos d’homme ou par monorail. Le terrain escarpé et le climat marin donnent des vins frais, savoureux et intenses. Des vins qui ont le goût de la mer et du soleil, comme le Vermentino, au caractère frais et aux notes d’agrumes, ou le Pigato, à la minéralité marquée.
Quant à la région de Franciacorta, en Lombardie, elle est le royaume des bulles, nées dans les années 1960 grâce à Franco Ziliani et Berlucchi, qui ont mené le Spumante classique à l’excellence, et où le Chardonnay, le Pinot Noir et le Pinot Blanc se mélangent dans des créations effervescentes et raffinées, agréables comme le paysage qui les entoure. Dans la Valteline, le cépage Nebbiolo – appelé ici Chiavennasca – s’exprime dans des vins élégants comme le Valtellina Superiore et le Sforzato, obtenu à partir de raisins passerillés, idéal avec des viandes braisées ou des fromages affinés.
La terra dei masi trentini est une terre de contrastes, avec ses fermes de montagne et ses vignobles perchés sur des terrasses escarpées, associant climat alpin et climat méditerranéen. Elle donne vie à des blancs aromatiques et à des rouges très structurés. Le Gewürztraminer (son nom provient de gewürz, qui signifie épicé en allemand, et de traminer, une ancienne variété de raisin) est un concentré de litchis et de pétales de rose, tandis que le cépage Müller-Thurgau, qui pousse dans les vignobles les plus élevés, apporte de la fraîcheur et des notes florales. Parmi les rouges, le Lagrein et le Teroldego se distinguent par leur intensité et leur corps, parfaits pour accompagner le speck (jambon séché au sel et fumé) et les plats de montagne.
Pour ce qui est de la quantité, il faut aller en Vénétie, où le Prosecco, le vin mousseux le plus vendu au monde, est frais et vif, parfait en toute occasion. Le Valpolicella est un autre grand symbole qui propose des interprétations diverses, du vin de tous les jours jusqu’au majestueux Amarone, né du passerillage des raisins, concentrant les sucres et les arômes avant une lente fermentation. Le résultat est un rouge puissant, aux notes de fruits mûrs, d’épices et de cacao, idéal pour accompagner le gibier et les plats consistants. Parmi les blancs, l’élégant Soave, obtenu principalement à partir de raisins Garganega, doit son nom à la ville de Soave, dans la province de Vérone. En 1931, cette région viticole a été l’une des premières à obtenir officiellement une délimitation de son territoire, en reconnaissance de sa réputation historique.
Enfin, dans la région du Frioul-Vénétie Julienne, patrie des grands vins blancs, le Friulano, autrefois appelé Tocai, se reconnaît à son incomparable note d’amande, qui s’accorde au jambon San Daniele. Le cépage Ribolla Gialla, raffiné et polyvalent, est indispensable à la fabrication des célèbres vins oranges, obtenus en macérant les peaux dans le jus de fermentation, qui séduisent de plus en plus d’amateurs. Les vignobles du Collio offrent nombre des meilleurs vins blancs d’Italie, adaptés à la cuisine de la mer ou aux spécialités telles que le frico, plat à base de fromage de différents affinages, accompagné de pommes de terre et d’oignons dans sa version moelleuse.
LE CENTRE
TRADITIONS, CARACTÈRE ET PASSION
Avec ses sols vallonnés et son climat tempéré, façonné par la brise de la mer Tyrrhénienne et la majesté des Apennins, le centre de l’Italie est le berceau de vins qui allient élégance et robustesse, tradition et modernité. En Émilie-Romagne, le vin est lié à l’abondance de la table, conviviale et gaie. Ici, le Lambrusco, avec sa mousse vive, existait déjà à l’époque romaine, quand les vignes sauvages de labrusche poussaient aux abords des champs. Dans ses différentes expressions, ce vin rouge pétillant est le compagnon idéal des charcuteries émiliennes et du gnocco fritto, petit beignet de pâte à pain. Le Lambrusco n’est pas seulement un vin, c’est une expérience qui nous ramène aux origines des fêtes et des moments de partage. Les blancs ont également une âme forte : le Malvasia di Candia Aromatica, introduit en Italie par des marchands vénitiens, possède des arômes intenses, tandis que l’Ortrugo, autrefois relégué au rang de vin d’assemblage, brille par sa saveur. Le Gutturnio, né de l’union du Barbera et du Croatina, accompagne depuis longtemps les grands plats émiliens, comme le bollito, un genre de pot-au-feu, ou les tortellini au bouillon.
La Toscane est la patrie du Sangiovese, véritable âme du paysage vitivinicole, un vignoble qui revêt des caractères différents selon les territoires. Dans le Chianti Classico, né sur des terres autrefois disputées par Florence et Sienne, le Gallo Nero témoigne encore des rivalités médiévales entre les deux villes. Le Brunello di Montalcino, l’un des vins les plus anciens d’Italie, doit son existence à l’intuition de Ferruccio Biondi Santi qui, au XIXe siècle, devina le potentiel d’un Sangiovese vinifié avec rigueur et un élevage long : il en résulte un vin à la structure puissante, qui accompagne très bien les viandes grillées ou les pappardelle al cinghiale, de longues pâtes fines et larges à la viande de sanglier.
Le Vino Nobile di Montepulciano avait déjà été qualifié de « vino perfettissimo, da Signori », en 1549, par Sante Lancerio, maître de chai du pape Paul III Farnese, dans le récit de ses voyages à la recherche des vins les plus prisés pour le souverain pontife. Aujourd’hui, son élégance sera mise en valeur par de la coppa di testa (charcuterie) ou un stracotto, une daube.
En parcourant l’Ombrie, on découvre des vins anciens au caractère affirmé. Le Sagrantino di Montefalco est l’un des rouges les plus tanniques d’Italie, si bien qu’il était autrefois utilisé par les moines franciscains comme vin de messe. Aujourd’hui, il s’accorde à merveille avec l’agneau rôti et les fromages affinés. Les vins blancs, tels que le Grechetto et l’Orvieto DOC, déjà célèbres dans les cours de la Renaissance, étaient transportés le long du Tibre jusqu’à Rome pour désaltérer papes et cardinaux. Leur profil frais et minéral s’accorde avec les truffes blanches d’Ombrie et les soupes rustiques.
Au Moyen Âge déjà, les Frascati du Latium étaient servis lors des banquets de la cour pontificale, mais ce n’est qu’au fil des siècles suivants qu’ils sont devenus les compagnons idéals des artichauts à la romaine, plat emblématique de la cuisine du Latium. Il existe une légende liée au vin Est! Est!!! Est!!! di Montefiascone : son nom proviendrait de l’enthousiasme d’un évêque allemand qui, arrivé à Rome en 1111 avec Henri V de Franconie avait envoyé son échanson dans la ville à la recherche des meilleurs vins. Quand il le goûta, il le trouva si extraordinaire qu’il marqua la porte de la taverne de trois Est! (abréviation de est bonum, il y a du bon [vin]). Ce vin blanc accompagne parfaitement les poissons du lac de Bolsena.
Les Marches sont la terre du Verdicchio : le Verdicchio dei Castelli di Jesi et le Verdicchio di Metallica sont des vins blancs frais aux notes d’agrumes, idéals avec une soupe de poisson ou des olives all’ascolana, des olives farcies, panées et frites. Parmi les rouges, le Rosso Conero, obtenu avec le cépage Montepulciano, porte en lui l’écho de la mer et du vent qui souffle sur les flancs du promontoire dont il tire son nom. C’est un vin intense et enveloppant, délicieux avec le ciauscolo, un saucisson à tartiner, ou des viandes grillées.
Dans les Abruzzes, le Montepulciano est un vin lié à la culture rurale ; les bergers l’emportaient avec eux lors des longues transhumances. Aujourd’hui, il est le symbole de la région, fort et généreux, parfait avec des arrosticini, des brochettes de viande de mouton, ou un timballo alla teramana, un gratin de crêpes salées à la sauce tomate. À ses côtés, le Trebbiano d’Abruzzo prouve que même les blancs peuvent avoir du caractère et une longévité notable, s’ils sont vinifiés avec soin. D’un point de vue œnologique, le Molise pourrait être qualifié de « terre de Tintilia », en référence à son cépage autochtone le plus représentatif, redécouvert récemment, et qui résiste à l’épreuve du temps avec sa note minérale et épicée. Ce vin rouge se marie par exemple avec le caciocavallo podolico, un fromage à base de lait de vache de race Podolica, mais aussi avec l’agneau alla molisana.
LE SUD
SOLEIL, VENT ET MER
En Campanie dominent l’Aglianico, introduit par les Grecs il y a plus de deux mille ans, et le Taurasi, un vin rouge de garde extraordinaire, conseillé pour accompagner des plats riches comme le ragù napoletano, une sauce tomate à la viande de bœuf. Parmi les blancs, on peut citer le Falanghina, le Fiano di Avellino et le Greco di Tufo, déjà connu à l’époque de la Grande-Grèce, qui tire son nom de la ville homonyme et enchante par sa minéralité. Idéal avec de la mozzarella de bufflonne ou des plats de la mer.
Entre terre et feu, l’Aglianico del Vulture domine la scène vinicole de la Basilicate. Cultivé sur les pentes d’un volcan éteint, il offre un vin complexe, avec des arômes de fruits des bois, de poivre noir et de réglisse, et il accompagne très bien les peperoni cruschi, des poivrons croustillants, ou le pecorino lucano.
La région entre les deux mers, la Calabre, est le berceau de cépages anciens comme le Gaglioppo, avec lequel est produit le Cirò, un vin qui, selon une légende, était servi aux athlètes olympiques. Élégant et épicé, il accompagne avec brio le chevreau rôti ou la soppressata, une saucisse de porc au poivre, au fenouil et au piment. Parmi les vins blancs, le Greco apporte fraîcheur et saveur, et il rehausse les plats de poisson qui font partie de la tradition culinaire locale.
En poursuivant le long du talon de l’Italie, les Pouilles se dévoilent avec leurs vastes vignobles qui s’étendent jusqu’à la mer. C’est là que pousse le Primitivo, un cépage probablement d’origine balkanique, diffusé ensuite par les Phéniciens et les Grecs. Son nom dérive du latin primativus, précoce. Ses raisins murissent plus rapidement que les autres et lui confèrent un profil caractéristique, intense et enveloppant. Le Negroamaro, plus structuré et tannique, est excellent avec les gnummareddi, les paupiettes d’abats traditionnelles, cuites sur le gril.
Quant à la Sicile, terre de civilisations millénaires, elle exprime dans ses vins un carrefour de cultures. Le Nero d’Avola, avec sa structure veloutée et ses arômes de cerise, se marie admirablement avec la caponata, une sorte de ratatouille au vinaigre, ou les arancini, des boules de riz farcies et panées. L’unique DOCG (dénomination d’origine contrôlée et garantie) de l’île, le Cerasuolo di Vittoria, né de l’union du Nero d’Avola et du Frappato, rehausse les pâtes alla Norma, aux aubergines frites. Parmi les blancs, le Grillo et le Catarratto se distinguent par leur fraîcheur et leur minéralité. Ils sont parfaits pour accompagner le couscous de poisson. Sur l’Etna, le Nerello Mascalese et le Nerello Cappuccio donnent vie à des vins rouges élégants, aux notes de cendres volcaniques, dont le nom fait référence à la couleur sombre des grains (nerello), à la région de Mascali et à la forme compacte de la grappe (cappuccio).
La Sardaigne raconte aussi son histoire à travers le vin. Le Cannonau, un vin rouge chaud et enveloppant, accompagne très bien le porceddu, le cochon de lait à la broche, et le pecorino affiné. D’après des études récentes, il s’agirait de l’un des plus anciens cépages de la Méditerranée, arrivé il y a plus de trois mille ans. Le Vermentino di Gallura blanc se distingue par sa fraîcheur aux notes d’agrumes, et il est recommandé pour accompagner la fregula, de petites pâtes aux fruits de mer, ou la daurade au four.
Raconter l’histoire du vin italien en quelques pages est un défi impossible à relever, il y aurait en effet encore tant de nuances à explorer. J’espère cependant avoir éveillé votre curiosité, vous avoir donné l’envie de goûter de nouvelles saveurs. Laissez-vous guider par les arômes et les histoires contenus dans chaque bouteille. Car le vin italien ne fait pas que se boire, il se vit.
A.P.