Un texte intime et émouvant de Paola Farinetti, épouse et compagne de vie et d’art de Gianmaria Testa, qui rappelle la vie passée à ses côtés entre musique, projets et quiétude des Langhe, où le moindre recoin de la maison garde la trace indélébile d’une passion artistique et d’un amour partagé.
PAOLA FARINETTI
Gianmaria était (est) mon mari et l’artiste que j’ai produit et avec lequel j’ai travaillé pendant plus de quinze ans.
Ensemble, nous avons fait un fils, plusieurs disques et de nombreux projets, parcourant le monde grâce à sa musique.
Nous avons vécu la majeure partie de notre vie ensemble à la campagne, dans une grande maison qui donne sur les collines de Castiglione Falletto et sur le silence des Langhe. Depuis notre balcon, l’on voyait d’un côté le château de Perno, résidence de la famille Einaudi, et de l’autre celui de Serralunga, élégant et élancé. Le village, qui comptait moins de 600 âmes, nous a accueillis avec un mélange de familiarité et d’exotisme, parce qu’il était évident que nous nous démarquions dans le panorama général, en raison de la musique et de nos fréquentations. Mais si cette contradiction apparente – l’exotisme et la familiarité – était rendue possible, c’était sans nul doute le mérite de Gianmaria plus que le mien, parce qu’il savait nouer des liens simples et directs avec tout le monde, jeunes ou vieux, aubergistes, peintres en bâtiment, œnologues, jardiniers, journalistes ou directeurs de grands théâtres, établissant immédiatement une familiarité chaleureuse et rassurante, faisant de lui un frère pour quiconque.
La maison s’élevait sur trois étages et, au rez-de-chaussée, il y avait un espace – la « Stanza della musica », la pièce de musique comme on l’appelait – dans lequel Gianmaria allait écrire ses chansons. C’est là, par exemple, que sont nées toutes les chansons de Da questa parte del mare, son album monographique dédié aux migrations contemporaines, celui qui l’a le plus marqué et qui signe probablement l’apogée de sa carrière artistique. Il descendait, et il remontait, après des heures ou des jours, pour me les faire écouter alors qu’elles n’étaient pas terminées, et nous en discutions.
Gianmaria pouvait passer des mois sur les paroles, jusqu’à trouver le mot le plus juste, en termes de métrique et de sens, le mot irremplaçable, et s’il devait l’inventer, il l’inventait comme il l’a fait avec « spiove » ou « snevica », pour indiquer l’interruption de la pluie ou de la neige.
Toujours dans cette pièce prenaient vie les spectacles avec Erri De Luca et Gabriele Mirabassi : on répétait, on mêlait les mots et la musique, puis on montait partager des repas improvisés, avec des spaghetti et du bon vin. Cette maison a servi de décor et de plateau pour le tournage du clip vidéo de la chanson Nuovo, réalisé par l’acteur et ami Giuseppe Battiston, avec pour protagonistes notre fils de 5 ans, les vignes et le village.
Dans cette maison se faisaient, avec un petit groupe d’amis, les écoutes privées des disques avant leur sortie publique, et puis l’on mangeait et l’on buvait jusqu’à tard. Dans cette maison se retrouvait, autour de grandes tablées, notre famille élargie.
Aujourd’hui, la maison est encore là, toujours belle, toujours enserrée entre le château de Perno et celui de Serralunga, toujours ouverte sur les vignobles de Nebbiolo, mais elle est silencieuse et esseulée. Elle garde entre ses murs des souvenirs si forts, si lumineux qu’ils réchauffent et aveuglent en même temps, comme toutes les belles choses de la vie quand on les perd et que leur souvenir console et meurtrit.
P.F.