Le Maire de RIACE, Mimmo Lucano, s’exprime dans RADICI. La page n’est pas tournée. Loin de là.
L’époque où nous vivons, même si elle est un terrain idéal pour les prétendus magiciens, les vendeurs de fumée, les pourvoyeurs de bêtises vendus au kilos, est aussi l’époque de tous ceux qui croient au respect de certaines valeurs et qui s’engagent à les vivre au quotidien coûte que coûte.

LE HORS-LA-LOI

ITALIENS, Quand les émigrés c’était nous.


Au début, les interrogations étaient toujours les mêmes : et s’ils étaient trop nombreux par rapport aux résidents ? Et si, parmi eux, il y avait des criminels ? Dans le débat public sur le flux et l’accueil des migrants, les problèmes, c’était ça.
Pourtant, il y a un autre problème qui devrait être évident pour tout le monde : la politique ne peut pas se réduire à une sélection entre ceux qui peuvent entrer et ceux qui ne le peuvent pas, parce que ce faisant, elle renonce à elle-même. Elle renonce au principe de liberté qui l’a instituée. Au travers de mon expérience, j’ai compris une chose : la politique qui se transforme en un pur exercice de pouvoir oublie le rêve d’émancipation collective auquel notre droit à la liberté nous appelle.
Sans une communauté qui nous entoure, nous sommes étrangers à nous-mêmes
Répétés pendant des années, les mots de l’égoïsme sont devenus familiers et persuasifs. Centimètre après centimètre, ils ont occupé tout l’espace de nos pensées. Ils ont été amplifiés par la vague des populismes et ils ont été mis en œuvre dans l’État qui ferme ses frontières. Le racisme s’est propagé sans générer de scandale. Le terme migrant a été galvaudé et vidé de son sens : nous avons construit le ghetto où enterrer nos consciences.
Quelle est alors la frontière ? De quel côté se trouve le salut ?
Si, à ces deux questions nous devons répondre « nous comprendrons qui mérite d’être accueilli », « nous verrons bien ce que ça nous apporte ? », nous ferons le choix peu courageux de renoncer à la responsabilité que nous avons à l’égard des autres. Tous nos liens seraient compromis, depuis le plus familier jusqu’au plus éloigné, depuis nos rapports avec nos voisins jusqu’à nos rapports avec les étrangers. Nous ne sommes libres que si nous sommes capables de conjuguer la responsabilité individuelle et la responsabilité collective. Pour ces questions, je ne connais qu’une seule réponse. À chaque fois que j’ai regardé la mer avec les pieds dans l’eau, j’ai eu une certitude : quiconque frapperait à notre porte, que ce soit un malheureux, un réfugié ou un voyageur, il représenterait l’unique salut pour le monde entier, le seul espoir contre la violence de l’histoire.
Avant de devenir maire, et bien avant que « la crise migratoire globale » ne se révèle être l’événement décisif de notre époque, j’ai accueilli le rêve d’émancipation que j’ai hérité de ma terre. Je ne compte plus les erreurs que j’ai commises, mais je sais que je n’aurais pas pu agir autrement. Je n’ai jamais été capable de regarder avec les yeux de celui qui exclut. Je ne supporte pas les privilèges et les discriminations.


La mer et le village ont été les deux pôles de mon existence. Dans la Riace de mon enfance, j’ai découvert l’humanité comme beauté : les mots de ma mère m’invitaient à être curieux et jamais méfiant envers l’autre, à être généreux, parce que nous étions tous dans le besoin. C’est cette même sensation qui, plus tard, allait me pousser à accueillir d’autres voyageurs, pas des migrants, pas des réfugiés, mais des étrangers qui, dans notre culture, venaient raviver la valeur d’hospitalité. L’Histoire les avait amenés sur le sable devant ma porte, comme une vague qui s’abat sur le rivage, là même où j’avais salué, au moment de mon départ, les visages de mes compagnons, pour connaître la tristesse et le manque. Moi aussi je suis parti, pour Turin. Pour la première fois, j’allais connaître la vie urbaine et ouvrière, j’allais me sentir dépaysé, tout en continuant à parler ma langue, à fréquenter mes compatriotes émigrés au Nord. Le désarroi que j’allais ressentir ressemblait à une perte de sens. La migration fait partie de l’histoire de notre pays. La politique italienne n’a jamais prêté suffisamment attention aux communautés locales et périphériques : elle les a laissées s’appauvrir, créant ainsi ce mouvement de personnes de la périphérie vers le centre, du Sud vers le Nord, qu’elle aurait pourtant souvent voulu contenir. Aujourd’hui encore, l’émigration demeure la seule alternative pour la Calabre.
Si proposer un modèle de développement signifie imaginer un certain type de société, quelles possibilités reste-t-il dans un contexte vidé de ses habitants ? Si, d’une certaine façon, Riace a représenté une avant-garde, c’est parce qu’elle a saisi, dans les contradictions d’un système injuste, une occasion historique pour sa renaissance. Nous n’avons pas géré les flux, termes inacceptables, nous n’avons pas planifié de modèles de développement, parce que nous n’en n’avions pas les moyens, et nous n’avons pas résolu nos problèmes. Nous avons seulement revendiqué notre appartenance à un idéal, aux côtés des étrangers, des nouveaux citoyens, parce que ce défi concerne tout le monde, et il ne peut en être autrement. La globalisation des migrations est un phénomène inexorable et la politique de refoulement, de stricte règlementation, ne peut avoir aucun résultat positif.
Par une coïncidence absurde, par un caprice du vent, c’est bien un village contaminé par un « virus humain » que nombre d’entre eux ont trouvé, un lieu où il était possible d’imaginer être tous des êtres humains. Une empreinte profonde est restée, c’est l’héritage que nous laissons pour un rêve à venir.
Le plus grand crime que j’aie pu commettre a été celui de partager le rêve de liberté de ceux qui demandent le respect des droits humains, parfois même seulement du droit d’exister.