Certains numéros de RADICI naissent d’une question, d’autres d’une blessure, et ce numéro est véritablement le fruit des deux.

Ainsi, de nombreux Italiens semblent aujourd’hui incapables de faire face à leur passé, ils ont recommencé à partir de chez eux, à quitter leurs racines, à chercher ailleurs ce qu’ils ne trouvent plus chez eux.

L’Itinerario proposé dans ce numéro le raconte avec justesse. L’Istrie et Gorizia nous rappellent que les frontières ne sont jamais des lignes neutres, mais des cicatrices, des souvenirs contestés et des silences qui crient encore. Là-bas, l’histoire ne se laisse pas archiver, elle continue de frapper aux portes des familles, de hanter les non-dits et les commémorations embarrassantes. Gorizia et Nova Gorica ont choisi de répondre par le biais de la culture, non pas comme vitrine, mais
comme acte de confiance mutuelle. Une leçon qui nous concerne tous, dans une Europe qui préfère trop souvent ériger des murs plutôt qu’ouvrir des places.

À une époque où l’arrogance de l’opinion a remplacé la curiosité de la pensée, l’ancien magistrat et écrivain Gianrico Carofiglio nous invite à une révolution douce : redécouvrir l’ignorance comme une ouverture, l’erreur comme un chemin vers la connaissance et la chance comme une forme de gratitude. Sachant allier rigueur et humanité, Carofiglio nous rappelle qu’admettre ses limites n’est pas un signe de faiblesse, mais de force. Que se tromper est un moyen de se rapprocher de la vérité. Et que seuls ceux qui acceptent de ne pas savoir peuvent vraiment apprendre à comprendre.

Les migrations d’aujourd’hui ne ressemblent plus à celles de nos aïeux avec leurs valises en carton ; les départs sont impromptus, les valises modestes, mais souvent chargées de précarité et de solitude. Les jeunes Italiens qui partent pour la France ou ailleurs ne partent pas pour fuir, ils partent pour donner un sens à leur avenir. Cependant, la représentation politique qui devrait leur donner une voix semble souvent vide, formelle, éloignée de la réalité quotidienne des communautés. Nous en avons parlé avec Maria Chiara Prodi, secrétaire générale du CGIE (Consiglio Generale degli Italiani all’Estero, Comité général des Italiens à l’étranger), qui connaît bien cette difficulté et s’efforce de la transformer en une participation réelle. La vraie question est donc la suivante : qui représente vraiment les Italiens dans le monde ? Et quelle image de l’Italie ont ceux qui continuent à la quitter ?

Dans les pages de ce numéro, nous évoquons également les clichés, car l’identité italienne n’a jamais été seulement une question d’histoire ou de géographie : c’est aussi du théâtre, un imaginaire, un miroir déformant que les Français, et pas seulement eux, nous renvoient depuis des siècles. Savoir se lire à travers les yeux des autres est peut-être la seule façon d’éviter la caricature de nous-mêmes.

Il y a aussi cette Histoire, que l’on ne peut éluder, celle qui, depuis la déflagration de la Grande Guerre, nous a laissé les ténèbres du fascisme. Une période qui, aujourd’hui encore, continue d’interroger la conscience civile de l’Italie et nous rappelle à quel point la démocratie est fragile lorsqu’elle est privée de participation, de justice sociale et de mémoire vivante.

Et il y a la littérature. Roberto Saviano, dont la voix est marquée par la solitude et le courage, nous rappelle que l’amour peut être un acte politique, une insurrection personnelle contre la peur et l’omerta. Les mots, lorsqu’ils sont vrais, ne sauvent pas seulement le souvenir, ils sauvent aussi des vies, même s’ils le font en silence.

Enfin, le pain. Ce n’est pas un détail gastronomique, c’est un langage universel, le plus ancien : compagnon, cum-panis, celui avec qui on partage son pain. Alessandra Pierini nous quitte avec ce dernier récit autour du pain. Nous la remercions pour ces années de collaboration intense et précieuse, et ses mots resteront en nous comme le parfum du pain à peine sorti du four ! Nous souhaitons la bienvenue à Edda Onorato, elle aussi passionnée de gastronomie italienne, que vous découvrirez dans le prochain numéro, et qui vous proposera de nouvelles histoires, d’autres saveurs et d’autres vérités.

À une époque où les guerres semblent sans fin, parler de pain, d’amour, de représentation, de frontières et de mémoire n’est pas une échappatoire, mais une résistance culturelle. C’est notre façon de dire que l’histoire ne s’arrête jamais et que l’identité n’est pas un drapeau à brandir, mais une responsabilité à assumer.

Ce numéro est notre réponse, forte, plurielle, irréductiblement vivante.

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Rocco Femia, éditeur et journaliste, a fait des études de droit en Italie puis s’est installé en France où il vit depuis 30 ans.
En 2002 a fondé le magazine RADICI qui continue de diriger.
Il a à son actif plusieurs publications et de nombreuses collaborations avec des journaux italiens et français.
Livres écrits : A cœur ouvert (1994 Nouvelle Cité éditions) Cette Italie qui m'en chante (collectif - 2005 EDITALIE ) Au cœur des racines et des hommes (collectif - 2007 EDITALIE). ITALIENS 150 ans d'émigration en France et ailleurs - 2011 EDITALIE). ITALIENS, quand les émigrés c'était nous (collectif 2013 - Mediabook livre+CD).
Il est aussi producteur de nombreux spectacles de musiques et de théâtre.