Comme chaque année depuis treize ans, les premiers jours de décembre, Toulouse prend les couleurs du drapeau italien. Du 1er au 10 décembre 2017, le cinéma ABC et la cinémathèque de la ville rose accueillent les Rencontres du cinéma italien. Interview à Christine Grèzes, présidente des Rencontres du cinéma italien.

Les Rencontres du cinéma italien à Toulouse ont élargi leur public au fil des années. Ce treizième anniversaire s’inscrit dans une période très riche pour le cinéma de la péninsule. Pour commencer, qu’est-ce qui nous attend pour cette nouvelle édition du Festival ?

Alors, cette année nous allons voir, comme vous le dites, une programmation très riche. La production italienne est très importante, avec des films vraiment intéressants, dont je vous reparlerai après. Maintenant je voudrais plutôt vous présenter une série d’évènements qui, je l’espère, feront plaisir au public. On va d’abord avoir, le jeudi 30 novembre – c’est-à-dire la veille du démarrage du Festival – une soirée de lancement spéciale : il s’agira du spectacle musique et son de la Mafia liquida, un spectacle itinérant qui est déjà passé dans d’autres villes de France, d’Italie et d’Europe et qui était à Paris la semaine dernière. C’est un projet amené par une équipe de quatre musiciens et cinématographes, qui seront là pour nous présenter le spectacle. Mafia Liquida sera suivi d’un film inédit, La Guerra dei Cafoni, en présence de son réalisateur.

Le deuxième évènement très important aura lieu le samedi 2 décembre à la cinémathèque, institution toulousaine avec qui nous avons un partenariat pour la première année. Ce premier samedi du Festival, nous ferons un hommage au célèbre acteur Totò, car cette année est le cinquantième anniversaire de sa mort. D’ailleurs, outre Toulouse, beaucoup d’autres festivals en France et en Italie lui rendent hommage. Cette soirée sera accompagnée par une exposition de photographies de l’acteur napolitain au cinéma l’ABC, organisée par notre ami Antonio Maraldi, qui était là l’année dernière et nous propose chaque année une exposition sur un thème précis. Le 2 décembre, comme je le disais, à la cinémathèque aura lieu une soirée spéciale avec deux des films les plus connus de Totò : à 19h00 Miseria e Nobiltà avec Sophia Loren et, à 21h00, Risate di Gioia, Larmes de joie, de Monicelli. Je voudrais ajouter que, en faisant des recherches pour cette soirée, je me suis rendue compte que Totò était beaucoup plus connu en Italie qu’en France, bizarrement, alors qu’il est l’équivalent de notre Bourvil, si l’on peut dire. C’est l’occasion aussi, en lui rendant hommage, d’accroitre sa notoriété, même posthume, chez nous.

Après nous allons aussi fêter, séparément c’est-à-dire pas cinématographiquement, les 60 ans de la sortie de la FIAT 500, sortie donc en 1957. Si tout va bien, samedi 2 décembre vers 15h00, le club FIAT 500 Haute-Garonne en organisera un défilé dans les rues de Toulouse.

Pour terminer, nous présenterons le dernier film de Marco Tullio Giordana, Due Soldati, qui a été filmé l’année dernière et qui se définit comme le troisième volet de sa trilogie sur la mafia, après I Cento Passi et Lea. Le film traite toujours des rapports entre les humains et la Mafia, avec toutes les conséquences que cela peut engendrer. Marco Tullio Giordana vient de nous confirmer sa présence qui sera, comme pour chacune de ses venues à Toulouse, un évènement considérable. Voilà les évènements les plus importants. En dehors de ça, nous aurons dans la programmation un total de 22 films.

Est-ce que nous connaissons déjà les films en compétition.

Je ne veux pas donner des fausses informations au public. Par contre, je peux dire que nous aurons un certain nombre d’avant-premières, donc des films qui vont sortir l’année prochaine en France et qui sont des très gros films. On aura par exemple Fortunata de Sergio Castellitto avec Jasmine Trinca, film qui est passé cette année à Cannes, Après la guerre avec Giuseppe Battiston, le dernier film d’Andrea Segre L’Ordine delle cose, qui est passé à Venise cette année, et puis Cœurs purs, et tant d’autres. Tous les gros films qui sont passés à Cannes ou à Venise seront présentés en avant-première, plus des inédits qu’on dévoilera un peu plus tard…

Passons à l’actualité du cinéma italien. J’ai jeté un coup d’œil aux programmations des Festivals de Villerupt, qui vient de se terminer, et de celui d’Annecy auquel vous avez participé. Francesco Giai Via, le directeur artistique du Festival du cinéma italien d’Annecy dit, dans l’édito de présentation de son Festival, que « le cinéma italien vit à cette époque une vraie renaissance ». En même temps, Le Festival de Villerupt a choisi comme thématique « Le cinéma italien qui gagne ». Dans les deux citations, nous trouvons une idée du cinéma italien qui renaît ou qui prend une revanche. Êtes-vous d’accord avec cette vision ?

Je pense que depuis une dizaine d’années, il y a effectivement une renaissance du cinéma italien, qui était au plus bas au début des années 2000. Mais, il y a un petit mais. Le cinéma italien souffre d’une faible notoriété en France, par conséquent tous les réalisateurs que nous avons nommés et d’autres, n’ont pas la notoriété qu’avaient ceux de l’ « âge d’or » du cinéma italien. Et cet âge là reste l’éternelle référence : Fellini, Scola, Visconti, Monicelli, etcetera. C’est très bien, mais c’est du passé ! Je crois qu’il faut aller de l’avant et ne pas établir de comparaisons. Cette époque du cinéma italien qui était un des plus beaux, sinon le plus beau du monde, reste dans l’histoire. Qu’on s’y réfère, qu’on y soit attentifs, évidemment, parce que c’est un patrimoine culturel immense à transmettre, mais il n’empêche que le comparer au cinéma contemporain est une erreur parce que ça occulte les réalisateurs de maintenant. Il serait plus astucieux de promouvoir tous les réalisateurs que nous essayons de mettre en l’avant, les inviter pour leur donner de la notoriété et éviter de dire « un tel est bien, mais il n’est pas Fellini ». On ne sortira jamais de cette équation. Et il faut aussi cesser de faire des focus sur les réalisateurs les plus connus comme Moretti, Benigni, Virzì ou Sorrentino. Certes, ceux-là ont émergé, mais il y en a plein d’autres qui ont un vrai talent et que nous ne connaissons pas assez. Ça commence à bouger, on trouve de plus en plus de films italiens sur le marché français. La preuve est que nous avons de plus en plus d’avant-premières, c’est-à-dire des films qui vont sortir en France. Mais ça n’a pas toujours été le cas ! Les distributeurs et les Festivals ont la mission de faire connaitre ces nouveaux réalisateurs, mais pas en les comparant aux anciens. Certains des réalisateurs que l’on propose ont des véritables talents qui mériteraient d’être mieux connus en France. D’ailleurs, dans les films que nous passons en compétition, sauf exception, les réalisateurs n’ont pas fait plus d’un ou deux films. Nous ne mettons pas en compétition un réalisateur affirmé avec des nouveaux. Le moment de la compétition est un moyen chez nous comme dans d’autres Festivals de donner une chance aux réalisateurs émergeant pour les faire connaitre. Je profite de cette conversation pour lancer un appel aux distributeurs français pour qu’ils soient très attentifs aux compétitions des Festivals.

Je voudrais vous poser une autre question sur le cinéma italien de nos jours, cette fois-ci en citant Jean Gili, le critique cinématographique spécialiste du cinéma italien, qui écrit : « le cinéma italien s’est imposé au cours des décennies comme l’un des plus riches au monde. C’est celui qui a sans doute (…) le mieux témoigné d’un peuple et qui en a exprimé les affirmations exemplaires (…) les déchirements, les souffrances et les raisons de croire en l’avenir. » Est-ce pourquoi le cinéma italien fascine à nouveau autant ?

Oui, je pense qu’il a parfaitement raison et que dans l’héritage de ces nouveaux réalisateurs par rapport aux anciens, il y a une espèce d’inconscient collectif sur la trame sociale de l’Italie. Je m’étais déjà exprimé à ce sujet et je pense que, consciemment ou non, les réalisateurs italiens de maintenant ont cet héritage de trame sociale. Dans tous les films, même quand il s’agit d’une bluette ou d’un petit drame, de façon subjacente, le contexte régional, social, politique et humain, est présent. Donc l’environnement qui était présent chez Fellini, chez Monicelli, chez Scola, celle qui était et qui est l’histoire du pays transparait toujours plus ou moins dans le cinéma de maintenant.

À propos de cette atmosphère qui transparait toujours, plusieurs films ont exploré la ville de Naples, ses contradictions, son charme et ses problématiques. Je pense notamment – juste en 2017 – à Ammore e Malavita des frères Manetti, Il permesso de Claudio Amendola, le film d’animation Gatta Cenerentola, Veleno de Diego Olivares, L’intrusa de Leonardo Di Costanzo, et j’en oublie sûrement d’autres. Pourquoi assistons-nous à cette redécouverte ?

Je pense que la spécificité de la ville napolitaine, avec un nombre énorme de réalisateurs, existait déjà avant et elle ne fait que se poursuivre. Le phénomène de la mafia y est souvent plus visible qu’il ne l’était auparavant. Tous les réalisateurs que vous avez cités et dont nous aurons certains films sont tellement proches de leur terre et de sa spécificité, que dans une sélection effectivement il y en a beaucoup qui se réfèrent à la ville de Naples. Totò il était napolitain, et il y en a combien d’autres ! Vous avez raison, mais je ne pense pas que cela occulte forcement le reste de la production, parce que le nord de l’Italie est très représenté aussi, il y a une grande production sur la région de Turin, sur le Frioul, de la Vénétie, sur toute cette partie du nord de l’Italie. Il y a beaucoup de réalisateurs qui en sont originaires. Et encore, il y a une grande production cinématographique sur la Sicile, sur la Calabre, Rome n’en parlons pas ! Avec tous les scénarios qui souvent s’attachent à décrire la banlieue romaine ! Donc c’est sûr que l’identité napolitaine émerge, mais pas que.

Une dernière question plus personnelle. Comment est-elle née votre passion pour le cinéma italien ?

Je ne sais absolument pas répondre à cette question. Je suis tombée amoureuse de l’Italie quand j’avais 15 ans. À l’époque j’habitais à Paris et j’étais en rade à la cinémathèque de Chaillot, où j’ai découvert le cinéma italien à l’époque de l’âge d’or, ou juste un peu après. Je crois que les coups de foudre ne s’expliquent pas. Ce que je peux dire c’est que ma passion résiste et qu’elle n’est pas prête de s’arrêter.

Francesca Vinciguerra

Née en 1991 à Lanciano, Francesca Vinciguerra a récemment obtenu son diplôme en littératures française et européenne dans les universités de Turin et de Chambéry, avec un mémoire en littérature post-coloniale française. Depuis septembre 2016, elle vit à Toulouse, ville où elle a entrepris une collaboration avec la revue RADICI et a terminé un service civique avec l’association de musique baroque Ensemble baroque de Toulouse.