Soutien

L’image a fait le tour du monde et des réseaux sociaux, mais, curieusement, pas assez, selon moi, le tour des médias. Vous voyez sans doute de quoi je veux parler : ce journaliste de la Rai, Daniele Piervincenzi essuyant un coup de tête de Roberto Spada. Frère d’un célèbre boss mafieux d’Ostie, ce dernier était interrogé face caméra sur son amitié avec un représentant local du mouvement néo-fasciste Casa Pound.

Que certaines personnes arrivent encore à se regarder dans la glace le matin ou simplement à sourire à leur enfant, alors qu’elles mènent des activités consistant à exploiter son prochain voire le détruire est une chose. Que ces mêmes personnes ne soient pas capables d’en répondre à ceux dont le métier est de dire la vérité ou du moins de s’en approcher en est une autre.

Et que dire de la vie de Federica Angeli. Elle aussi enquête sur les Spada. Journaliste au quotidien « La Repubblica », elle a aussi raconté ce système mafieux qui mine le littoral romain. Elle subit depuis quatre ans les menaces du clan. Quand les hommes de ce dernier croisent les enfants de la journaliste sur le chemin de l’école, ils leur font des signes de croix. Effrayer des gamins, envoyer des photos de ces derniers à leur mère pour lui mettre la pression. Et ces sales types voudraient qu’on ne les dénonce pas…

En Italie, une trentaine de journalistes sont menacés de mort. Le plus connu d’entre eux reste sans doute Roberto Saviano, l’auteur de « Gomorra », une plongée dans les entrailles de la Camorra napolitaine. On pourrait aussi citer Paolo Borrometi à Raguse en Sicile. Ce reporter ne se déplace jamais sans son escorte de cinq policiers et sa voiture blindée. Il est « condamné à mort » par pas moins de trois clans mafieux. Plusieurs fois agressé il a même vu sa maison partir en fumée. Avant lui, dit-il, « plus personne n’avait parlé de la mafia dans sa région depuis l’assassinat de son confrère Giovanni Spampinato dans les années 70 ».

Honte

Personne sauf peut-être Pino Maniaci. Patron d’une petite télé locale, Telejato, il s’était fait le symbole de la lutte anti-mafia. Reporters Sans Frontières l’avait même intégré à sa liste des « héros mondiaux de l’information ». Et pourtant, à l’image de son masque, il est tombé pour extorsion, lui qui se faisait fort de dénoncer les collusions entre chefs d’entreprises et crime organisé. Des écoutes le prennent en train de faire chanter un maire ou encore magouiller pour trouver un emploi à sa maîtresse.

Son véhicule incendié ? Ses deux chiens retrouvés pendus devant sa résidence ? Mascarade ou affaire de mœurs mais en rien le prix de sa lutte contre la mafia. Et pourtant il avait alors reçu jusqu’au soutien de Matteo Renzi et la promesse d’une escorte. Maniaci a berné son monde, y compris ses confrères qui, comme moi alors débutant dans la profession avaient cru à sa panoplie de chevalier blanc.

Doutes

De chevaliers blancs aujourd’hui il n’en reste plus beaucoup à l’heure des fake news, dans une époque où il faut se battre pour investiguer, et où, paradoxalement, tous les témoignages sont analysés avec suspicion. Le « #balancetonporc » voit pas mal de têtes tomber ou vaciller dans le sillage de l’affaire Weinstein. Parmi les premières actrices qui ont dénoncé le producteur américain : Asia Argento souvent surnommée « l’enfant terrible du cinéma italien ».

Sa parole libérée n’a pas forcément été la bienvenue dans tous les médias transalpins. Ainsi Renato Farina éditorialiste du quotidien de droite Libero émet des critiques pour lui expliquer « la différence entre un violeur et un homme vicieux ». Son journal n’hésite pas à inscrire en Une : « Céder aux avances du boss, c’est de la prostitution ». L’animatrice de TV7, ne la qualifions pas de journaliste, Selvaggia Lucarelli, lui emboîte le pas : « les abus évoqués sont un peu trop prolongés dans le temps et planifiés pour être qualifiés de tels ».

La Stampa donne la parole à l’accusatrice qui doit désormais se défendre. « Il n’y a qu’en Italie que je suis considérée comme coupable de mon propre viol car je n’en ai pas parlé quand j’avais 21 ans et que j’étais terrorisée. Je suis déçue. » Asia Argento dénonce dans ce qui lui arrive, suite à son témoignage, « une Italie très en retard » avec « une vision berlusconienne de la femme », référence aux orgies sexuelles organisées par l’ancien président du Conseil.

Un Silvio Berlusconi qui continue de tirer quelques ficelles en politique, souhaite éventuellement revenir au premier plan, mais n’a en revanche jamais cessé d’être patron d’un groupe de presse et d’édition, Mondadori. Il n’y est pas toujours simple d’y travailler pour les journalistes italiens comme français d’ailleurs. Le Canard Enchaîné a épinglé le groupe du Cavaliere en révélant un rapport obtenu après un âpre combat par le CHSCT de Mondadori France. On y lit le témoignage de journalistes à qui « on demande d’écrire comme si on fabriquait des yaourts » ou à qui on explique que « si tu n’es pas content, tu n’as qu’à te casser ».

Avoir le temps d’écrire, le faire bien et surtout être publié. Tout cela semble parfois être devenu du luxe de nos jours. Je l’ai dit à maintes reprises dans ce blog, la presse italienne ne cesse de m’étonner par son dynamise et sa diversité. Achetez un quotidien national le dimanche de l’autre côté des Alpes et vous verrez. Vous soupèserez d’abord puis ensuite vous lirez, notamment les nombreux billets d’opinion, mais aussi les enquêtes. Un des pères de la profession, Albert Londres, a eu cette citation restée une ligne de conduite pour les journalistes : « notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ». Citation plus que jamais d’actualité.

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Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.