Emma Ruzzon, 23 ans, proche de l’obtention du diplôme de Master en Lettres Modernes, est la Présidente du Conseil des étudiants et étudiantes de l’Université de Padoue. Elle s’est fait connaître au niveau national pour son importante prise de parole prononcée au mois de février dernier à l’occasion de la cérémonie du 800e anniversaire de l’Université de Padoue, devant le Président de la République Sergio Mattarella. RADICI l’a rencontrée.

Ses positions contre les théories du mérite et son attention portée aux conditions – souvent précaires – des étudiants universitaires ont fait d’elle le symbole de la colère des jeunes. Elle a aujourd’hui rejoint la « manifestation des tentes » contre la hausse des loyers, en campant devant l’université de sa ville et en continuant à prêter sa précieuse voix à ceux qui, souvent, n’en ont pas assez pour porter leurs luttes.

Emma Ruzzon, vous avez été la première à attribuer publiquement le phénomène des suicides chez les étudiants universitaires à la pression sociale à laquelle sont soumis les jeunes d’aujourd’hui. Qu’est-ce qui rend si particulier et si tragique le cas italien par rapport à ce que vivent les jeunes des autres pays européens ?

Disons que le phénomène du mal-être psychologique ambiant est particulièrement tragique dans notre pays parce que c’est comme si, en dehors d’expressions de regrets, aucune politique n’était mise en place pour inverser la tendance. Or ce n’est que la partie visible de l’iceberg d’un système universitaire qui n’évite à personne d’expérimenter, au cours de ses années d’études, stress, anxiété, et peur de l’échec. Le système d’instruction se base, à tous les niveaux, sur la compétition et non sur la coopération, sur l’affirmation selon laquelle « l’erreur » serait exclusivement imputable au manque d’implication de l’individu, qui ne mérite donc pas un certain résultat.

Le mérite, un terme à double sens.

En effet, le terme « mérite » est accolé, depuis cette année, au nom du ministère de l’Instruction, pour mieux souligner cet engagement, qui ne tient cependant pas compte du fait que si les conditions de départ des étudiantes et des étudiants sont structurellement et culturellement différentes, la pure compétition ne fera rien d’autre que fossiliser les inégalités, au lieu de les niveler. Voilà, la responsabilisation pure et simple des individus face aux failles du système les mène à considérer comme un échec définitif toute hésitation, un examen raté, une mauvaise note. Qui plus est face à une peur généralisée de l’avenir, d’une précarité du monde du travail qui accentue la sensation qu’un échec temporaire aura des répercussions pour toute la vie.

Selon les données, en 2021-2022, 7,3 % des étudiants italiens ont abandonné les études universitaires, un chiffre alarmant. L’université est toujours moins attractive en Italie, qui enregistre déjà l’un des nombres de diplômés les plus bas d’Europe. Pour quelles raisons ?

Peut-être qu’il s’agit, plus que de pouvoir d’attraction, d’accessibilité concrète au parcours d’études. L’université italienne est publique en théorie, mais en pratique elle a l’un des systèmes de taxation les plus élevés d’Europe et l’un des services d’aide sociale les plus bas : les bourses d’étude ne sont pas réellement allouées dans certaines régions, pas complètement, et face à un total de 40 % d’étudiants venus d’autres villes, les places en résidences universitaires publiques sont absolument insuffisantes, ne couvrant que 5 % des besoins. C’est l’un des obstacles majeurs, et il a été prouvé par la manifestation des tentes de ces dernières semaines : étudier dans les plus grandes universités italiennes quand on vient d’ailleurs a désormais des coûts prohibitifs pour la plupart des personnes, qui se rendent souvent compte au début de leur parcours qu’ils ne parviennent pas à concilier l’université et l’emploi qu’ils sont obligés d’occuper pour subvenir à leurs besoins. En plus de ceux qui se désinscrivent, le nombre d’étudiants qui choisissent d’étudier à l’étranger augmente, une fuite des cerveaux précoce, pour des raisons de systèmes d’enseignement différents et parce que, quand on calcule, s’installer dans une ville à l’étranger coûte moins que s’installer, subvenir à ses besoins et payer les droits universitaires dans les villes des grandes universités italiennes.

Quelles mesures devrait prendre le gouvernement italien pour changer les choses ?

Certainement commencer par investir véritablement dans le droit aux études, les bourses d’étude, les résidences universitaires et les aides aux transports et à l’enseignement. Investir dans la recherche et dans l’enseignement en général, qui permettent non seulement d’accéder à l’université mais aussi à un enseignement de qualité. Pour finir, ne pas abandonner les universités qui ne sont pas considérées comme étant de premier plan, mais distribuer les fonds. En effet, devant le chiffre moyen de la baisse des inscrits dans les grandes universités, ce phénomène n’a pas lieu, conduisant les petites et moyennes universités à se vider toujours plus.