Une plongée culinaire dans le Noël italien entre traditions, anecdotes et spécificités en compagnie d’Alessandra Pierini, experte en gastronomie italienne. Et comme toujours, des recettes pour manger et faire la fête en famille !

ALESSANDRA PIERINI

Enfant, le jour de Noël, je mettais sous l’assiette de mes parents une petite lettre contenant un dessin et un poème que j’avais préparé à l’école et appris par cœur. J’attendais impatiemment qu’ils la trouvent et je me tenais bien droite, devant tout le monde, pour le leur réciter. 

Combien j’aimais et combien j’étais rassurée de savoir que, chaque année, à cette occasion, j’allais retrouver le même menu, avec parfois quelques petites variantes, mais toujours fidèle aux principes solennels des déjeuners traditionnels, sans lesquels ça n’aurait jamais été vraiment Noël : saucisson de thon, macédoine de légume, conserves de légumes à l’huile, cappelletti au bouillon, viandes bouillies, rôtis… Et puis, bien sûr, il y avait une profusion de gâteaux, dont les incontournables panettone et pandoro, que je préférais parce qu’il n’y avait pas de fruits confits. 

Personnellement, j’ai vécu plusieurs Noëls : celui de l’enfance, de la jeunesse, j’ai célébré le 25 décembre avec des rituels religieux et des traditions familiales. Puis celui de l’âge adulte, de la rencontre avec d’autres familles, avec des habitudes et des influences régionales pleines de découvertes. Et enfin celle de la vie française, où j’ai redécouvert le réveillon de Noël, qui m’a permis de dépoussiérer toutes les traditions italiennes liées à ce jour qui donnent une dimension encore plus festive à cette fête. 

Mais comment célèbre-t-on Noël en Italie ? À vrai dire, il n’y a pas vraiment de manière codifiée de le fêter. Dans cet univers pourtant bien balisé, chaque famille a ses traditions et les perpétue, créant ainsi l’atmosphère qui donne à ce jour un air indéniablement spécial. Jusqu’à il y a quelques décennies, la coutume était assez claire : dans le Centre et le Sud, on se réunissait pour le grand dîner du réveillon le 24 décembre, tandis que dans le Nord, c’est le déjeuner le jour de Noël qui était de rigueur. 

L’explication de cette tendance est à chercher dans des traditions très anciennes, sans avoir de sources historiques précises. D’un point de vue liturgique, le 24 décembre clôt le temps de l’Avent, commencé le 1er décembre, une tradition chrétienne à laquelle sont liées diverses coutumes qui lui confèrent un aspect populaire. Le 24 décembre est en effet une date aux racines préchrétiennes liée au culte des Saturnales romaines, une série de festivités qui commençaient le 17 décembre et se terminaient la veille du 25, jour où l’on célébrait le Natalis Solis Invicti (la naissance du soleil invaincu). Elle coïncidait avec le solstice d’hiver selon le calendrier de l’époque, moment de l’année où les jours commençaient à allonger, où la lumière augmentait et où le soleil renaissait, c’est une fête qui a donné son nom au Noël chrétien. Pendant les Saturnales, on vénérait certaines divinités, dont Marica, une nymphe étroitement associée au territoire du sud de l’Italie et qui rappelle beaucoup la déesse Diane, protectrice des forêts, des cours d’eau et des animaux sauvages. L’une des coutumes de ces fêtes consistait à manger beaucoup de poissons lors de grands banquets publics et à rendre visite à sa famille pour échanger des cadeaux, comme aujourd’hui lors des fêtes de Noël. 

Dans le sud de l’Italie, cette coutume de faire la fête avant le jour de Noël s’est maintenue, même si aujourd’hui les frontières entre le nord et le sud se sont estompées et que les célébrations commencent souvent la veille de Noël pour se terminer même après Noël, le 26 décembre, jour de la Saint-Étienne, qui est également un jour férié en Italie, dédié au premier martyr de l’histoire de la Péninsule. 

En cette époque d’abondance, la tradition veut qu’à la veille Noël, l’on fasse maigre avec des plats de poissons et de légumes. La viande était autrefois un luxe, c’est pourquoi elle était interdite. C’était aussi une marque de respect envers Jésus qui allait naître.

Au fil des siècles et de l’affaiblissement des préceptes religieux, le sens véritable de cette interdiction s’est perdu et l’ancien principe de ne pas manger de viande s’est transformé en coutume de manger du poisson, paradoxalement l’un des aliments les plus chers aujourd’hui. Parmi les recettes les plus appréciées, il y a surtout celles transmises depuis plusieurs générations et de nombreux plats régionaux. 

Pour ce véritable marathon culinaire, l’on peut commencer par préparer l’estomac en suivant, par exemple, la tradition napolitaine, avec une belle saladedi rinforzo, de renfort, un triomphe de poivrons et de divers légumes conservés dans du vinaigre, de chou bouilli, d’olives, d’anchois, assaisonnée avec de l’huile et du vinaigre. L’on ne sait pas vraiment si le nom de cette salade provient du goût piquant de la vinaigrette qui renforce les saveurs, ou du fait que la salade est renforcée avec de nouveaux ingrédients au fur et à mesure qu’elle est consommée. 

S’il y a insalata di rinforzo, il ne peut y avoir ensuite qu’une odorante pizza di scarola, une pizza rustique préparée avec de la pâte à pain et de la scarole poêlée, des olives, des câpres, des raisins secs et des pignons de pin. Une recette qui remonte au XVIIe siècle, quand les Napolitains n’étaient pas encore connus pour être des mangia maccheroni, mais comme des mangia foglie, des mangeurs de feuilles, car leur régime alimentaire était essentiellement composé de légumes qui poussaient en abondance dans la Campania Felix, la Campanie prospère, comme les Romains l’appelaient.

Le plat suivant est l’incontournable anguille. Dans le sud, mais aussi dans les vallées du Comacchio (en Émilie-Romagne, entre les provinces de Ravenne et de Ferrare, au sud du delta du Pô) où elle est devenue une spécialité, il n’y a pas de réveillon sans capitone, qui n’est autre que l’anguille femelle, ainsi appelée parce qu’elle a une tête (capa en napolitain) plus grosse que le mâle. On l’achète vivante afin de la purger dans de l’eau douce pendant une journée, puis on la coupe en morceaux que l’on fait mariner avec du citron, du sel et du poivre, avant de la faire cuire à la braise. L’anguille étant très proche du serpent qui, selon le christianisme, est l’animal qui représente le mal, manger de l’anguille signifie symboliquement manger le mal et l’éloigner. Une victoire du bien, ou peut-être serait-il plus juste de dire de la nourriture, sur ce mal. 

Le jour de Noël, dans presque toutes les maisons, on trouve une grosse casserole où, dès les premières heures du matin, on fait cuire le légendaire bollito, souvent composé de plusieurs morceaux de viande, mais presque toujours de chapon. Ceux qui ne choisissent pas de préparer le chapon farci et de le cuire au four, le préparent – comme c’était le cas dans ma famille – pour en faire un bouillon très savoureux. Le chapon est un coq castré qui est élevé pour une durée de 3 à 5 mois. La tradition de la castration des coqs remonte à l’Antiquité romaine. Une technique qui permettait de garder davantage de coqs dans le même poulailler, mais aussi de rendre la viande plus tendre et plus savoureuse. On le trouvait sur les tables de Noël dès le Moyen Âge, à une époque où peu de gens avaient accès à la viande et où le chapon était considéré comme un mets de choix. Or c’est justement en raison de son raffinement qu’il était considéré comme l’aliment idéal à présenter lors de l’un des repas les plus importants de l’année. Le chapon était consommé en second plat, accompagné de légumes en conserve préparés par la mère de famille l’été précédent, de mostarda et de salsa verde, une sauce à base de persil haché, d’ail, de câpres, d’anchois, de mie de pain trempée dans du lait, d’huile d’olive et de vinaigre, créée pour aromatiser la viande à la cour du roi Carlo Alberto au XIXe siècle.

Et si à la veille de Noël, en famille, nous mangions des tortelli à la citrouille en entrée suivis d’une soupe de brocolis et de raie, le jour de Noël, il n’y avait pas de doute : tortellini pour tout le monde ! Impérativement in brodo, servis dans un bouillon de chapon, agrémentés de beaucoup de parmesan. Chez moi, nous commencions à les préparer dès les 22 et 23 décembre, et croyez-moi, nous en faisions des centaines. Une pâte très fine, avec beaucoup d’œufs, étalée à la main, en forme de carrés avec au centre une petite boule de farce très savoureuse à base de viande de porc hachée, de parmesan, de mortadelle, parfois de jambon cru et de noix de muscade. Ensuite, on plie le carré en triangle et on referme les deux sommets de la base autour de l’index, comme un anneau. Pour finir, les tortellini sont cuits très rapidement dans le bouillon et servis très chauds. 

Suivaient, une grande corbeille de fruits frais et secs, l’incontournable torrone di nocciole piémontais, le panettone et, pour moi, depuis toujours la spongata, une fois de plus, les origines émiliennes de ma mère prenant le dessus.

Le nom dérive de sponga, une ancienne variante dialectale de spugna, éponge. C’est un gâteau de Noël friable et très parfumé, fourré de miel, de pignons, d’épices, de fruits secs et confits, entre deux ronds de pâte brisée, et cuit au four. Un délice, croyez-moi. 

Voilà, je vous ai parlé de rituels familiaux, de traditions personnelles, de coutumes régionales, qui font tout le charme de cette fête et contribuent à l’atmosphère simple, chaleureuse et réconfortante qui est le véritable sens de Noël en famille. Sans rien enlever à la bonne tradition de se livrer à quelques péchés de gourmandise. 

A.P