Passions culinaires, moments historiques, conflits, soirées mouvementées et dédicaces particulières : c’est ainsi que personnages politiques, peintres, poètes, écrivains et musiciens ont inspiré certaines recettes de notre gastronomie.

« Mais il en va de la cuisine comme des plus belles œuvres de l’art : on ne sait rien d’un plat tant qu’on ignore l’intention qui l’a fait naître. » Daniel Pennac.

Dans le passé, la renommée de nombreux personnages était souvent liée à un plat. Au moins jusqu’au milieu des années 1940, dédier des recettes aux personnages ou aux occasions les plus populaires était à la mode. Une coutume française déjà en vigueur un siècle plus tôt. C’était le moyen pour de grands cuisiniers, gastronomes, journalistes et simples ménagères de célébrer un fait ou une personnalité et de rendre leur souvenir immortel jusque dans l’univers des gourmets. Plus encore, certaines personnes ou événements sont aujourd’hui connus principalement, sinon uniquement, pour avoir donné leur nom à un plat ou un dessert. Tour gastronomique parmi les recettes les plus inspirées.

PLATS D’ARTISTES

ARTICHAUTS À LA CARAVAGE

Un peintre brillant au tempérament fougueux. En 1604, Michelangelo Merisi dit le Caravage était à Rome où il aimait traîner dans les quartiers populaires. Un jour, à l’Osteria del Moro, il commanda son plat préféré, des artichauts, quatre cuits à l’huile et quatre au beurre. Au moment où le garçon lui apporte l’assiette, le peintre lui demande quels sont ceux qui sont cuits à l’huile et ceux au beurre. « Sens-les ! », répond, indifférent, le garçon. Le Caravage, de nature très susceptible et grand bagarreur, se sent offensé par cette réplique et, tout en jetant les artichauts au visage du garçon, il dégaine son épée et le poursuit dans toute la taverne. C’est ainsi que sont nés les artichauts à la Caravage, recette classique de la cuisine locale, connue, par extension, sous le nom d’artichauts à la romaine, dans lesquels on insère de la menthe, du persil et de l’ail entre les feuilles avant de les faire mijoter généralement, dans l’huile d’olive.

CARPACCIO

Le plat fut inventé par Giuseppe Cipriani, au Harry’s Bar de Venise, en 1950. Les médecins avaient interdit la viande cuite à la comtesse Amalia Nani Mocenigo, et ainsi Cipriani, qui la recevait souvent à sa table, lui servit de très fines tranches de viande de bœuf cru, agrémentées d’une sauce proche de la mayonnaise, préparée avec jaune d’œuf, vinaigre de vin blanc, moutarde, huile d’olive, sel, poivre, sauce Worcestershire, jus de citron et lait. Pour Cipriani, les couleurs flamboyantes de la recette rappelaient celles des toiles du peintre vénitien du XVIe siècle, Vittore Carpaccio, dont il venait de visiter une exposition, d’où le nom du plat.

MUSICIENS

TOURNEDOS ROSSINI

Dans le Paris du XIXe siècle, Gioacchino Rossini (1792-1868) était aussi célèbre pour ses opéras que pour son penchant pour la bonne chère. On le croisait souvent assis aux tables des grands restaurants de la Capitale et, c’est bien dans l’un d’entre eux, la Maison Dorée, qu’est née cette recette. Rossini, client fidèle, aurait demandé au chef de recouvrir une tranche de tournedos de bœuf de trois centimètres d’épaisseur d’une tranche de foie gras, de lamelles de truffe et de sauce madère. Toujours à base des ingrédients préférés du compositeur, le foie gras et la truffe, la sauce Rossini accompagne également cannelloni, œufs pochés et poulet.

TORTA DONIZETTI

D’après la légende, ce plat fut inventé par le cuisinier du célèbre compositeur Gaetano Donizetti (1797-1848) sur le conseil de Gioacchino Rossini, pour consoler son ami affligé de peines d’amour. Une version plus crédible de l’origine de la recette veut que l’inventeur du plat soit en réalité le chef pâtissier Alessandro Balzer, qui, en 1948, prépara le gâteau en le dédiant au compositeur de Bergame pour célébrer le centenaire de l’anniversaire de sa mort. Il s’agit d’une couronne à base de farine, fécule de pomme de terre, blancs d’œufs, beurre, sucre, ananas et abricots confits, parfumée au marasquin et saupoudrée de sucre glace. Aujourd’hui, la Torta Donizetti est un symbole dans toutes les pâtisseries de Bergame, et le 8 avril, jour de la mort de l’artiste, est devenu le jour de la célébration de la fête nationale du gâteau.

RISOTTI ALLA GIUSEPPE VERDI

Ce risotto a été créé au XIXe siècle par un chef français en l’honneur du grand compositeur Giuseppe Verdi (1813-1901), grand passionné de cuisine. Le chef en question est Henri-Paul Pellaprat, élève d’Auguste Escoffier et fondateur de la célèbre école de cuisine française du Cordon Bleu (1895). Le chef utilise les ingrédients typiques d’Émilie-Romagne, la région natale du Maestro : Parmigiano Reggiano, Jambon de Parme, champignons et asperges de Plaisance, ingrédients qui lui ont été suggérés par l’épouse de Giuseppe Verdi, Giuseppina Strepponi.

CACCIUCCO ALLA MASCAGNI

Cette fois, nous sommes à Livourne, ville natale du grand compositeur Pietro Mascagni (1863-1945). L’auteur de Cavalleria rusticana était aussi un grand amoureux de la table. Fils de boulangers, l’on dit que Mascagni adorait les œufs, qu’il consommait en grande quantité et de toutes les manières. L’un de ses plats préférés était le rouget et le stockfish aux pommes de terre à la livournaise, qu’il alternait à de gros steaks qui, disait-il, lui donnaient beaucoup d’énergie. Il était particulièrement friand d’une variante du cacciucco, une sorte de soupe à base de poissons et coquillages, qu’il adorait parfumer à la sauge et au gingembre.

PASTA ALLA NORMA

Non pas un artiste cette fois, mais une œuvre musicale : l’on raconte que l’écrivain, scénariste et poète sicilien de Catane, Nino Martoglio (1870-1921), après l’avoir goûtée et avoir été époustouflé par son goût extraordinaire, qualifia cette recette de pâtes de « Norma », la comparant à l’opéra de son compatriote Vincenzo Bellini. Ce plat, demeuré emblématique de la ville de Catane, se prépare avec des pâtes courtes (penne ou rigatoni, par exemple) assaisonnées d’une sauce tomate avec des tranches d’aubergines grillées, de l’ail, du basilic et de la ricotta de brebis sèche et salée râpée dessus.

BUCATINI ALLA CARUSO

Le célèbre ténor napolitain Enrico Caruso (1873-1921) suggéra cette recette aux chefs des deux hôtels où il séjournait habituellement, le Vittoria à Sorrente et le Vesuvio à Naples. Il s’agit d’une sauce à base de poivrons, courgettes, tomates de la variété San Marzano, basilic et piment, qui enrobe les bucatini, de gros spaghettis creux. Avant de servir, on ajoute sur les pâtes des courgettes frites coupées en rondelles et du persil haché. À ne pas confondre avec les Vermicelli alla Caruso, recette également née en l’honneur de l’artiste qui, déçu par un insuccès lors d’une représentation, jura solennellement devant une assiette de vermicelli à l’huile, ail, piment et persil, qu’il ne chanterait plus jamais à Naples et qu’il n’y reviendrait que pour manger ce plat. Il existe aussi un apéritif qui porte le nom de Il Caruso. Il se prépare avec du gin, du vermouth sec et de la crème de menthe. Très en vogue dans les années 1960, il est aujourd’hui démodé.

ÉCRIVAINS

PERE ALL’ARETINO

On pourrait s’attendre à une recette immorale, mais il n’en est rien : Pietro Aretino (1492-1556), Pierre l’Arétin, écrivain et dramaturge licencieux, le « fléau des princes », comme il était surnommé en raison de ses satires acérées, aimait particulièrement cette recette à base de petites poires cuites, de sucre, de citron et de calament nepeta, un type de menthe très utilisée en Toscane, dans le Latium et dans la cuisine corse.

RISOTTO ALLA PASCOLI

La poésie n’était pas la seule passion de l’illustre Giovanni Pascoli (1855-1912). Son amour pour la bonne cuisine, les saveurs authentiques et les traditions locales ont toujours été très présentes. Bien sûr, tout cela émerge dans ses compositions qui contiennent des références à des plats, des traditions, des ustensiles ou même, dans certains cas, de véritables recettes. Deux grands exemples en sont les œuvres La piada et Il desinare. Il aimait particulièrement ce risotto que lui cuisinait toujours sa sœur Mariù, qui resta à ces côtés pour lui faire la cuisine jusqu’à sa mort. Parmi les ingrédients : oignon, beurre, safran, sauce tomate, foies de volaille, champignons et persil.

LEPRE ALLA D’ANNUNZIO

Gabriele D’Annunzio (1863-1938) poète et écrivain originaire des Abruzzes, n’était certainement pas insensible aux plaisirs de la table. Et les hôtes de sa villa florentine, la Capponcina, où il menait une vie luxueuse, le savaient bien. Le poète aimait les surprendre avec des plats comme son lièvre « alla D’Annunzio », où la viande est hachée avec de la truffe blanche, du lard, du veau, du porc, de la cannelle, du basilic, des pistaches et des œufs. Et enfin décorée de rondelles de citron et de feuilles d’oranger.

SPAGHETTI ALLA UNGARETTI

Giuseppe Ungaretti (1888-1970) le poète « hermétique » qui s’inspirait des grands auteurs décadents français, allait à l’essentiel, même à table. Ces spaghetti qui portent son nom nous le prouvent : peu d’ingrédients pour un goût intense qui représente une allégorie culinaire de son art poétique. La simplicité d’un « cacio e pepe » (fromage de brebis et poivre), ravivé et épicé avec un cumin puissant et une noix de muscade odorante. C’était l’un des plats préférés du grand poète, rendu célèbre par un reportage mémorable de la revue La Cucina Italiana en 1963. Simple et hermétique… et m’illumino d’immenso (je m’éclaire d’immense), pour reprendre l’un de ses plus grands poèmes.

RECETTE

Spaghetti alla Ungaretti

Pour 4 personnes

400 g de spaghetti
120 g de beurre
80 g de parmesan râpé
40 g de chapelure
Une cuillérée à café de cumin
Une pincée de noix de muscade
Sel
Faire cuire les spaghettis dans de l’eau bouillante et salée. Faire dorer la chapelure à sec dans une poêle. Faire fondre le beurre dans une casserole, puis ajouter une louche d’eau de cuisson des pâtes. Tout de suite après, ajouter le parmesan râpé, le cumin et une pincée de noix de muscade, et mélanger soigneusement pour obtenir une sauce homogène. Égoutter les pâtes et les verser dans la sauce : remuer le tout, jusqu’à ce que les pâtes soient bien enrobées. Saupoudrer avec la chapelure grillée et servir aussitôt.

ACTEURS

POLLO ALLA LYDA BORELLI

Une recette qui concerne deux personnages intéressants : Giulio Piccini, alias Jarro, et Lyda Borelli. Des noms qui appartiennent à un passé glorieux.
Lyda Borelli (1888-1959), fut l’une des premières divas du cinéma muet et actrice de théâtre, considérée comme l’héritière de la grande Eleonora Duse, avec qui elle joua en 1905. Elle connaît le grand succès en 1913 lorsqu’elle joue dans le film Ma l’amor mio non muore!, très apprécié par le public. Lyda Borelli représente la féminité, la parfaite femme fatale largement stéréotypée par D’Annunzio, une figure intemporelle, séductrice et charmeuse très en vogue à l’époque Art Nouveau. Elle devint une référence pour les jeunes femmes qui imitaient son attitude. D’ailleurs, le néologisme « borelleggiare », du nom de famille de Lyda, est né à cette période pour indiquer le phénomène d’imitation du public féminin à son égard. Et le journaliste Jarro immortalisa cette femme et son histoire dans une recette, décrite dans son œuvre l’Almanacco gastronomico, sorti en 1915. Jarro préconise de choisir une pollastra (un terme péjoratif en italien pour désigner une poule, je vous laisse imaginer la comparaison avec la diva…), de la faire cuire au bouillon, de la désosser, d’en prélever la viande, de la couper très finement pour la mélanger à trois œufs, un verre de crème fraîche, des champignons ou de la truffe (encore mieux !) en terminant par de l’écorce de citron râpé. Le farci de poule est placé dans un plat préalablement beurré et cuit au four.

JARRO

Jarro (en espagnol, « tasse, cruche »), de son vrai nom Giulio Piccini. Né à Volterra, en Toscane, en 1849, il a été l’un des plus grands journalistes et critiques de théâtre de son époque. C’était aussi un cuisinier expérimenté, ami de Gabriele D’Annunzio, cultivé, curieux, amateur de théâtre et de vie mondaine, gourmet et grand connaisseur des personnalités de son époque. Il a écrit de nombreux livres consacrés au théâtre et édité, entre 1912 et 1915, l’Almanacco gastronomico, un recueil de recettes, anecdotes, blagues et histoires culinaires, dont de nombreuses recettes dédiées à des personnages célèbres, tels que des acteurs, des poètes et des écrivains, que Jarro fréquentait régulièrement pour son métier. La ville de Volterra consacre chaque année à Jarro un prix littéraire pour récompenser les artistes et les journalistes qui promeuvent la culture gastronomique.

PLATS DE POUVOIR

CANNELLONI ALLA BARABAROUX

Avocat et ambassadeur du royaume de Sardaigne à Rome, le comte Giuseppe Barbaroux (1772-1843) fut l’un des hommes politiques les plus en vue de la première moitié du XIXe siècle, si bien qu’en 1831, il obtint du roi Carlo Alberto le ministère de la justice et la charge de réformer le code pénal savoyard conformément à sa vision plutôt libérale. Une position qui lui attira antipathie et critiques, sans que le roi ne prenne position pour le défendre. Déçu, isolé et lassé par la situation, Barbaroux se retira de la vie politique et mit rapidement fin à ses jours. Il cultivait une passion pour la politique mais aussi pour la bonne chère, si bien que les manuels posthumes de gastronomie lui dédièrent cette recette de cannellonis à la Barbaroux. Un plat raffiné, riche et élégant, à la hauteur de la noblesse du personnage. Il s’agit ainsi de rouleaux de pâte fraîche garnis d’une farce à base de viande de veau braisée et enrichie d’œufs et de jambon. On dispose les cannellonis dans un plat et on les recouvre de béchamel et de parmesan râpé avant de les enfourner.

VINCIGRASSI

Deux explications différentes se disputent l’origine du nom de ce plat de la cuisine traditionnelle des Marches. La première est celle qui nous intéresse particulièrement pour ce chapitre et remonte en 1799. La ville d’Ancône, assiégée par les troupes napoléoniennes, remporta une victoire contre les Français grâce à l’aide des troupes austro-russo-turques dirigées par un général autrichien au nom compliqué, Alfred von Windisch-Graetz. Pour célébrer le succès, le général fut invité à déguster cette somptueuse recette locale. Depuis ce jour, le plat s’appelle Vincisgrassi, nom qui est né de la déformation dialectale du nom du général. Il s’agit d’une sorte de lasagna préparée avec des couches de pâtes fraîches farcies avec un ragù à base de viande de bœuf coupée au couteau, viande de porc, abats de volaille et vin rouge, avec une béchamel épaisse et riche en noix de muscade.

POLLO ALLA MARENGO

François Dunand, le cuisinier suisse de Napoléon Bonaparte créa cette recette sur le champ de bataille de Marengo près de la ville d’Alessandria dans le Piémont, immédiatement après avoir remporté la victoire du 14 juin 1800, avec les provisions réquisitionnées à quelques paysans des alentours : poulet, écrevisses, légumes, œufs. Napoléon l’apprécia tellement qu’il décida d’en consommer un plat après chaque bataille et il était hors de question de changer la recette. Superstition oblige.

TORTA MAZZINI

Giuseppe Mazzini (1805-1872), grand révolutionnaire et patriote génois, appréciait les gâteaux et surtout le chocolat. On raconte qu’au cours de son exil français il répétait : « Le chocolat possède mille vertus : il console des échecs, des trahisons, des outrages à la vie, de la tristesse, des passions perdues et de celles que l’on n’a jamais pu connaître ». En 1835, pendant son exil en Suisse, il envoya à sa mère, à Gênes, cette recette goûtée sur place. Le texte original se trouve au Musée Mazzini de Gênes. Il y est écrit :
« Eccovi la ricetta di quel dolce che vorrei faceste, e provaste, perché a me piace assai. Traduco alla meglio perché di cose di cucina non m’intendo, ciò che mi dice una delle ragazze in cattivo francese: pelate, e pestate fine fine tre once di mandorle, tre once di zucchero, fregato prima ad un limone, pestato finissimo. Prendete il succo del limone, poi due gialli d’uovo, mescolate tutto questo, e movete, sbattete il tutto per alcuni minuti, poi, sbattete i due bianchi d’uovo quanto potete – en neige, dice essa, come la neve – cacciate anche questi nel gran miscuglio, tornate a movere. Ungete una tourtière, cioè un testo da torte, con butirro fresco, coprite il fondo della tourtière con pasta sfogliata, ponete il miscuglio sul testo, su questo strato di pasta sfogliata spargete sopra lo zucchero fino, e fate cuocere il tutto al forno. Avete inteso? Dio lo sa ».

RECETTE

Torta Mazzini

Pour 6/8 portions

1 pâte feuilletée de 28 cm de diamètre
2 œufs bio
100 g d’amandes pelées et concassées
80 g de sucre
1 citron bio
Sucre glace pour finition

Mélanger les amandes avec le sucre et le zeste de citron. Battre les jaunes d’œufs avec le jus de citron et les ajouter au mélange précédent. Monter les blancs en neige et les incorporer délicatement avec une spatule. Dérouler la pâte feuilletée et la placer avec son papier sulfurisé dans un moule rond de 24 cm. Piquer la base de la pâte feuilletée avec une fourchette, y verser le mélange, et faire cuire environ 30 à 40 min dans le four à 180°, jusqu’à ce que la surface soit dorée. Laisser refroidir, puis saupoudrer de sucre glace.

STOCCAFISSO ALLA GARIBALDINA

Giuseppe Garibaldi (1807-1882), père de l’unité italienne, aimait la cuisine simple, les légumes, surtout ceux de son potager de Caprera, le poisson et en particulier le stoccafisso, la morue salée. Voici la recette que sa dernière épouse, Francesca Armosino, prépara spécialement pour lui. Pour ce plat, il faut de la morue dessalée et bien attendrie, sans peau ni arêtes. Coupée en morceaux, on la cuit lentement pendant deux bonnes heures, dans une sauce à base de tomates et oignons à laquelle on ajoute, à mi-cuisson, un hachis d’ail, anchois et persil. Avant de servir, on agrémente le plat d’olives.

I BISCOTTI DI GARIBALDI

En bon génois, la merenda (le goûter) qu’il préférait était proche de la gallettea del marinaio (galette du marin), une sorte de fougasse sèche qu’il fallait tremper pour l’assouplir, mais ici sucrée et garnie de raisins secs. Cette recette, très sobre et frugale, à l’image des Génois, a inspiré les biscuits Garibaldi encore en vente aujourd’hui dans les pâtisseries anglaises, dans une version un peu plus élaborée, avec l’ajout de confiture.

RECETTE

I biscotti di Garibaldi

200 g de farine 200 g de sucre glace 140 g de beurre 3 blancs d’œufs 200 g de raisins secs 1 œuf entier +1 jaune Faire tremper les raisins dans un bol d’eau tiède pendant 1h pour les assouplir puis les égoutter. Mélanger la farine avec le sucre glace et le beurre ramolli et travailler les ingrédients pour obtenir des miettes, comme pour un crumble. Ajouter les blancs d’œufs (non montés), mélanger jusqu’à avoir une pâte bien lisse, ajouter les raisins secs ; la pâte obtenue sera très humide. La garder dans un contenant fermé pendant 1h au réfrigérateur. Étaler, ensuite, le mélange en un grand rectangle de 0,5 cm sur un papier sulfurisé fariné, badigeonner toute la surface avec l’œuf entier + le jaune battu. Cuire pendant 20 à 25 minutes dans le four à 180°, jusqu’à faire dorer la surface, puis couper en rectangles, style Petit-Beurre, et laisser refroidir avant de déguster.

MERENDA REALE

La merenda reale (le goûter royal) est née au XVIIIe siècle dans les cafés de la haute bourgeoisie turinoise. Un assortiment de pâtisserie piémontaise avec les célèbres bagnati, c’est-à-dire les biscuits à tremper, accompagnés de boissons et chocolat chaud. Le bicerin (littéralement, en piémontais, « petit verre »), une boisson à base de chocolat, de café et de crème de lait, inventée par Giuseppe Dentis à la fin du XVIIIe siècle, était la grande boisson à la mode. À partir de ce moment-là, les femmes fréquentèrent également les cafés sans faire scandale et le rituel du bicerin accompagné d’un biscuit semblait être tombé à pic. Bien vite, cette mode s’étendit à toutes les classes sociales qui s’amusaient à partager ce moment de la merenda de façon démocratique. Parmi des biscuits de toute sorte, il y avait aussi le garibaldin, qui n’était rien d’autre qu’une tranche de pain beurré, à ne pas confondre avec les biscotti de Garibaldi [voir recette].

FINANZIERA ALLA CAVOUR

On dit de Camillo Benso, comte de Cavour (1810-1861) et ancien président du Conseil des ministres de la République italienne, qu’« il parlait français, pensait italien et mangeait piémontais ». De nombreux plats portent son nom, notamment la Finanziera (la financière) composée de ris de veau, crêtes de poulet et autres entrailles. Ce plat était considéré comme le plat des grands financiers et hommes de pouvoir, d’où son nom, et l’on y ajoute « alla Cavour » car ce dernier en mangeait quand il était Ministre des Finances et il en était friand. C’est une recette base d’abats, née dans les campagnes, bien loin des lieux prestigieux et des fastes de la grande ville qu’était Turin à l’époque. L’histoire du nom de ce plat de luxe des financiers turinois a une double explication. Certaines sources suggèrent que les ingrédients de la financière étaient en réalité le tribut que les paysans devaient payer sous le manteau aux douaniers, à l’entrée de la ville. La version étymologique, plus accréditée, veut que le plat ait trouvé sa place à la table de personnages renommés comme de riches banquiers et hommes d’État qui, au XIXe siècle, s’asseyaient au restaurant Il Cambio avec leur longues veste très élégante, le stiffelius, aussi appelée finanziera, prefettizia ou redingote.

PIZZA MARGHERITA

Avec la mozzarella, le basilic frais et la tomate pour symboliser les couleurs du drapeau italien, la Pizza Margherita aurait été créée par le chef de la pizzeria Brandi, Raffaele Esposito, en l’honneur de la reine Marguerite de Savoie en visite à Naples en juin 1889 avec son mari, le roi Umberto I. Mais comme en témoignent certains textes du XIXe siècle, Raffaele Esposito, à cette occasion, n’a pas inventé la pizza à la tomate, au basilic et à la mozzarella ; il l’a simplement fait découvrir à la reine. En effet, déjà en 1849, l’écrivain Emmanuele Rocco, dans le chapitre « Il pizzaiolo » de son livre Usi e costumi di Napoli, parlait de recettes avec divers ingrédients, dont le basilic, la tomate et les fines tranches de mozzarella. Et ces tranches, disposées en éventail sur la sauce, dessinaient sur la pizza la fameuse marguerite que Raffaele Esposito proposera 40 ans plus tard à la reine de Savoie.

LE FASCISME ET LES PLATS DE PROPAGANDE

À partir des années 1920, avec la montée du régime fasciste, la publicité occupa une place de plus en plus importante dans les magazines féminins ou culinaires. L’attitude de Mussolini et son image de mâle fier, viril, sûr de lui deviennent petit à petit un idéal dans les cœurs et sur les tables des ménagères italiennes fidèles au régime. Il n’y avait pas un livre de recettes, de propagande culinaire, pas un magazine gastronomique qui ne contienne un plat dédié, une citation ou une photo du duce. Le mensuel La Cucina Italiana raconta ainsi, malgré lui, l’épopée fasciste depuis le premier numéro de 1929 jusqu’en juillet 1943, quand, après l’arrestation de Mussolini, la revue fut fermée. La cuisine du fascisme n’était pas très raffinée et les menus n’étaient pas particulièrement copieux car ils reflétaient une crise économique étendue à toutes les classes sociales. Les recettes portaient des noms tels que Crema alla Littorio (crème à la Littorio, un navire de guerre), Sformato autarchico (flan autarcique), Uova alla fascista (œufs à la fasciste), Sugo Alalà (sauce Alalà, le cri de guerre des squadristes inventé par G. D’Annunzio), Sugo dux (sauce du duce), aragoste alla Giovinezza (langouste à la Jeunesse, le chant patriotique fasciste), cannelloni alla combattenti (cannellonis des combattants), spinaci all’imperiale (épinards à l’impériale), antipasto Vittoria (hors-d’œuvre Victoire) etc. Quant aux slogans préférés de Mussolini autour de la cuisine, les voici : « Poca pasta, tanto riso e, naturalmente zuppe » (peu de pâtes, beaucoup de riz et, naturellement, des soupes) ; « Chi mangia troppo deruba la Patria » (qui mange trop vole la Patrie). Et voilà comme est née la cuisine autarcique, poco cibo e tanta fame (peu de nourriture et beaucoup de faim).