Campanotto, 2016, 60 p., 10 euros

Compte rendu de René Galluccio

Les quarante poésies que nous offre Pierino Gallo dans son recueil Quaderno azzurro (Cahier bleu) nous invitent à découvrir un univers poétique étroitement lié à la nature qui l’entoure, où la densité de la pensée rivalise avec l’élégance de l’expression.
Pierino Gallo n’a certes pas choisi d’être poète, c’est la poésie elle-même qui l’a choisi et qui toujours et partout le nourrit d’un souffle qui élève le langage à un niveau d’abstraction où s’entrelacent élégamment les sentiments humains complexes et l’évocation de la nature dans ses manifestations les plus authentiques.
Les thèmes abordés sont ceux de la terre natale, du temps qui passe, de l’enfance, de l’amour, du souvenir d’instants de grâce vécus auprès de l’être aimé, des voyages, avec en toile de fond la nature devenue paysage comme un cadre idyllique à toutes les aventures.

Comme tous les hommes que la réalité bouleverse, ravit, mais surtout enchante, Pierino sait adroitement mêler dans ses vers les états d’âme aux paysages en des accents qui rappellent inévitablement certaines envolées léopardiennes, le désespoir en moins…
Ses références à la terre natale constitutive de son identité témoignent d’un lien indéfectible tissé avec la Calabre où il retrouve ses attaches et puise l’énergie qui le pousse à créer:

“ Il posto dove ho lasciato la mia infanzia
ha l’odore dell’erba …
…e quel rumore immortale
delle merende scartate sulle rocce…
l’odore delle siepi
e il tuo ricordo
che mi fece guida…”

“Le lieu où j’ai laissé mon enfance
a l’odeur de l’herbe…
Le bruit impérissable
des goûters déballés sur les rochers…
l’odeur des haies
restée sur ma peau
et ton souvenir
qui me servit de guide…”

Innombrables sont les manifestations vivantes de la nature témoins et actrices de l’évocation de souvenirs d’enfance aux accents proustiens et que ne renierait sans doute pas non plus Montale lorsqu’il parle du « jaune des citrons » :

“Oggi c’è un arbusto di castagne
sulla strada
e l’odore possente
dei ciliegi
carezze immobili
che ora parlano di te.”

“Aujourd’hui il y a un petit châtaigner
sur la route
et l’odeur puissante
des cerisiers,
caresses immobiles
qui me parlent de toi.”

Les paysages, toutefois sont plus qu’une simple toile de fond, même s’ils sont finement ciselés. Ils sont le cadre d’une dialectique entre le poète et la nature et témoignent de cet engagement profond, de ce pacte scellé avec les éléments d’où l’écrivain tire une part de son identité :

“ Nelle tane di acqua cristallina,
ricordo, ci consegnammo al giorno.”

“ Dans les grottes d’eau cristalline,
je me souviens, nous nous sommes livrés au jour.”

Jusqu’à porter un regard sur l’univers où l’homme acquiert sa dimension finale:

“ Il mio astuccio consumato dall’inchiostro,
la conta per decidere chi a sera
avrebbe spento il lume
e forse il cuore,
fuori fra le stelle.”

“ L’étui tâché d’encre
dira qui d’entre nous le soir
devra éteindre la lumière
ou peut-être le cœur,
au loin dans les étoiles.”

C’est l’être aimé, quel qu’il soit, qui est aussi célébré tout au long de cette anthologie, qu’il soit lié au temps de l’enfance où à celui de l’âge adulte. Angoisses, bonheurs:

“ Ho voglia di scaldarti come l’uccello il ramo
e raccontarti che il freddo non ci sfiora…”
“…Ecco amor mio, siamo arrivati
al punto deputato dal destino,
ora puoi aprire gli occhi ed io le mani
ché sto nel grembo della tua carne viva.”

“ J’ai envie de te réchauffer, comme l’oiseau fait avec la branche,
pour te dire que le froid ne nous affecte pas …”
…“ Voilà, mon amour, nous sommes arrivés
au point marqué par le destin,
tu peux ouvrir les yeux et moi les mains,
car je me tiens au sein de ta chair vivante.”

L’impression laissée par la lecture de Quaderno azzurro, est celle que laisserait un voyage à l’intérieur d’un univers sensible, lumineux et tourmenté dans lequel prévaut le désir de conserver intacts les souvenirs liés à l’enfance d’où surgit la lumière dont le rayonnement désormais va éclairer la vie.
Comment ne pas y voir un désir ardent de communier avec cette nature omniprésente, gorgée de soleil, riche de bruits, d’odeurs et de visions éblouissantes propres aux paysages du sud de l’Italie, et ne pas y sentir la présence éternelle des mythes de l’antiquité qui ont donné à ces territoires son identité ?

…”Mi riscaldano le albe dello Ionio
con profumi di zagare e di mare.”

…”Cantami il corso
di città deserte
poeta, cavaliere, anfitrione,
svelami il flusso di città sicure…”

“…Les aubes de la mer Ionienne me réchauffent
de leurs parfums de mer et de bigaradiers.”

“…Chante-moi le cortège
des villes désertes.
Poète, chevalier, amphitryon
dévoile-moi le flux des villes tranquilles…”

La pensée de Pierino Gallo est au bout de sa plume de poète et s’exprime avec la légèreté consentie par un choix judicieux des mots et des images.

“ Tutto quello che ci resta
sono giorni odorosi di trifogli
e, sotto il cielo, una schiera di mattini.
Ora sei vento,
la legge delle cose,
una sciarpa di foglie
che serberò in eterno.”

…” Tout ce qui nous reste
sont les jours embaumés du parfum des trèfles,
et, sous le ciel, une cohorte de matins.
Maintenant, tu es le vent
qui régit toute chose,
une écharpe de feuilles
que je garderai à jamais.”

Pierino Gallo nous invite à participer à cette confrontation avec lui-même et avec le monde extérieur, face à l’image que lui renvoie le miroir de son passé lointain. Il nous emmène dans un univers sensuel et diaphane, hors du temps et de l’espace, nourri de sensations dont il est un des acteurs principaux, non par égoïsme ou par égocentrisme, mais parce que c’est ainsi qu’il fait l’expérience de la réalité:

…”Soltanto adesso
mi accorgo
che sono aria,
luce,
albero,
amore.”

“ Je m’aperçois en ce moment
que je suis air,
lumière,
arbre,
amour.”

Communiquer avec le monde sensible réveille parfois en nous ce qu’il y a de plus profond et aussi de plus immatériel. Le poète porte le regard au-delà du monde visible, intérieur et extérieur se confondent, les deux sont interchangeables, mais un battement de paupières suffit pour comprendre que le monde n’existe pas sans le regard que nous portons sur lui et en même temps qu’il se révèle, se révèle aussi l’écho de notre moi profond.
Gallo évolue avec légèreté entre ces espaces indéfinis et n’a pas son pareil pour dépeindre sa réalité, pour dresser son état des lieux, et pour nous dire entre les lignes de ses poésies combien il brûle de se sentir vivant.

“ A metà strada tra la terra e il cielo
incontro i nostri volti
che in cima ad una nube alzano gli occhi
come per volar via.”

“ Qualcosa tra il fruscio degli ulivi
mi lega al mondo.
Con cura continuo a posare
Il mio piede sull’erba.”

”À mi chemin entre la terre et le ciel
je rencontre nos visages
qui lèvent leurs regards vers la cime des nuages
comme pour s’envoler.”

” Quelque chose au milieu du bruissement des oliviers
me relie au monde.
Avec précaution je continue
À poser mon pied sur l’herbe.”

La poésie de Gallo n’est pas un manifeste, elle ne plaide aucune cause mais elle est comme une arche tendue entre deux rives, nous parle, et nous tient éveillés en dépeignant au fil des pages les recoins merveilleux des mondes – de nos mondes –qu’il parcourt, la plume au bout des doigts, dans un souffle où parfois l’on sent poindre l’esprit du métaphysicien.