Que l’on ne s’y trompe pas, comme Trinità son titre commence par « on l’appelle », mais ici pas de western spaghetti et une sauce qui prend tout autant. Lo chiamavano Jeeg Robot est un OVNI cinématographique mais révèle un visage de l’Italie pas uniquement fictionnel.

L’anti-héros qui en devient un « super », ça on a déjà vu. En revanche, un film qui mélange les codes de Gomorra et ceux de The Avengers, personnellement je découvre. Le film s’ouvre sur une scène de poursuite. Enzo fuit des poursuivants (flics ou voyous) dans les rues de la cité éternelle et parvient sur les berges du Tibre. Son seul refuge : l’onde dans laquelle il se glisse. Son pied perce un tonneau marqué du symbole « radioactif ». Un liquide s’en échappe et pénètre son organisme.

Le fuyard regagne sa cité de Tor Bella Monaca et va passer une nuit agitée. Pas le temps de souffler. Après avoir vomi ses tripes, Enzo se retrouve mêlé à un trafic de drogue et va devoir vider deux « mules » de leur précieuse cargaison. Mais l’opération menée dans un immeuble en construction tourne mal. Le caïd qui accompagnait Enzo est abattu par un des transporteurs de drogue. Lui-même reçoit une balle et se retrouve projeté neuf étages plus bas. C’est au moment où il se relève, indemne, qu’il découvre ses « superpouvoirs ».

Santamaria touchant et drôle

Quelle va être la première utilisation qu’il va en faire ? Arracher à mains nues un Distributeur Automatique de Billets pour remplir son frigo de ses crèmes desserts préférées qui constituent l’essentiel de ses repas. Bref une vie saine, une activité honorable, aucune considération pour lui-même ou le monde qui l’entoure : le profil du super « anti-héros » est bien ficelé. Claudio Santamaria l’incarne avec brio, à la fois pour ses fêlures touchantes et son aspect de lourdaud ridicule.

Le malfrat qui a été tué aux côtés d’Enzo est le père d’Alessia, sa voisine du dessous. Déjà orpheline de mère et traumatisée par cette disparition, la jeune femme passe ses journées à regarder le même dessin animé : Jeeg Robot, une sorte de manga japonais dans la veine de Goldorak. Elle se met à harceler Enzo pour savoir où est passé son père. Puis, très vite, elle se retrouve à son tour sous la menace du « gitan ». Le chef de clan local veut récupérer la drogue que le paternel était censé lui ramener. C’est là qu’Enzo commence à s’interposer et utilise à nouveau sa force surhumaine.

Une critique sociale

Il n’en faut pas plus à Alessia pour voir en lui la réincarnation du héros de son dessin animé préféré et du monde imaginaire dans lequel elle vit. Si le super-héros est atypique, le méchant s’avère aussi hors-norme. Fabio Cannizzaro est une ancienne star de téléréalité devenu mafieux qui se verra doté de superpouvoirs à son tour. Un super-héros, un super-méchant et une belle femme à sauver : le décor est planté. L’histoire peut véritablement débuter. Seulement Enzo ne veut pas de responsabilité. Alors qu’il se promène avec sa belle dans les galeries d’un centre commercial, elle lui demande pourquoi il ne met pas son don au service des autres. Sa réponse : « Tu as envie de sauver ces gens-là toi ? »

Mais la belle ne s’en laisse pas compter. Abusée dès son plus jeune âge, désormais livrée à elle-même sans aucune famille, elle assène à celui qui commence à tomber amoureux d’elle cette tirade fulgurante : « Tu n’es pas digne d’être un super-héros. C’est pour ça que tu n’as pas d’ami. Tu ne me mérites pas ». Seulement pour Enzo, « toutes les choses qui étaient belles ont mal fini » : son quartier devenu ghetto, ses amis de jeunesse tous morts et à présent, elle, dont la vie est menacée. La rengaine est connue, ne pas s’attacher pour ne pas souffrir, mais elle est ici jouée largement en dehors des sentiers battus.

Une lueur d’espoir malgré tout

De la fange (une première scène d’amour qui s’avère être un viol, des meurtres sordides où même le super-héros ne tue pas « proprement » comme au cinéma) arrive toutefois à poindre l’espoir. En atteste cette scène romantique au possible où Enzo fait tourner à main nue la grande roue pour Alessia ou encore celle où il fait dérailler le tram pour la retenir et lui déclarer sa flamme. Mais ne racontons pas ici tous les rebondissements qui vont survenir.

Comme dans tout film de super-héros, il y aura un combat final avec un « gitan » devenu une allégorie du Joker de Batman. Le grotesque ne sera pas oublié jusqu’à la dernière image du long métrage. Tour à tour conspué puis admiré par le peuple romain Jeeg Robot se verra célébré au travers d’une tirade journalistique : « Les héros, c’est comme les poètes, il n’y en a qu’un seul par siècle ». Un film comme celui de Gabrielle Mainetti, il n’y en aura guère plus. C’est sans doute pour cela qu’il a reçu pas moins de sept « David di Donatello », l’équivalent de nos Césars. Seul regret, le doute puissant qui m’étreint quant au tournage d’une potentielle suite. Décidément ce super-héros n’est vraiment pas comme les autres.

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Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.