« Les sabotages sont nécessaires pour faire comprendre que le TGV est une œuvre nuisible et inutile ».
C’est pour cette phrase, prononcée lors d’une interview au Huffington Post en 2013 au sujet de la ligne TGV Lyon-Turin, que l’écrivain-militant risque huit mois de prison.

Et voilà que la fameuse liberté de l’intellectuel revient à la barre. Et pas n’importe lequel, l’auteur de Tu,mio, l’un des plus beaux livres qu’il m’ait été donné de lire ces dernières années. Certes la loi est la loi, et ce n’est certainement pas à moi que vous ferez dire le contraire. Seulement la loi s’interprète, se révèle parfois élastique, plus ou moins souple, parce que derrière ses articles, il y a évidemment des faits mais il y a surtout des hommes.

Ce sur quoi le tribunal de Turin doit trancher depuis quatre audiences déjà, c’est de savoir si Erri De Luca est coupable d’ « incitation à la délinquance » (istigazione a delinquere). Ces propos cités plus haut, il les a prononcés alors que des affrontements avaient lieu sur le chantier de la ligne ferroviaire Lyon-Turin, que des militants s’opposaient aux forces de l’ordre et aux ouvriers du chantier. Les anti LGV Lyon-Turin attendaient-ils ces mots lancés par De Luca pour passer à l’offensive ? Il ne serait vraiment pas sérieux de le croire.

« Je ne suis ni un martyr, ni une victime, mais le témoin d’une volonté de censure de la parole » s’est exclamé l’écrivain. Peu avant le procureur de Turin Antonio Rinaudo avait expliqué qu’en « raison de sa notoriété internationales, ses paroles ont un poids déterminant et ses phrases une force suggestive ». On touche là du doigt une subtilité morale : si vous ou moi avions prononcé ces mots, on nous aurait oubliés, en revanche s’ils proviennent d’un auteur célèbre à travers le monde, ils doivent être punis.

L’avocat de De Luca note qu’aucune plainte n’a été déposée en France. Doit-on y voir une justice italienne plus dure à l’égard de ses intellectuels ? Des plaies encore vives subsistent dans la péninsule : celles des années de plomb, où quelques belles plumes et autres penseurs n’ont pas hésité à appeler à la violence. De Luca qui fut communiste et anarchiste fait peut-être peur aux juges. « Je ne peux inciter qu’à la lecture, à la limite à l’écriture » s’est défendu lors de son procès Erri De Luca.

Cette attitude d’apaisement que De Luca a eu tout au long du procès lui vaut ce réquisitoire de huit mois soit disant clément aux yeux de la loi. Mais comment se priver ne serait-ce même qu’un jour de la parole ou des écrits d’un tel esprit ? « Si sur mes paroles s’abattaient une condamnation pénale, j’en assumerais la charge, moi qui suis leur porteur. Elles, mes paroles, restent et resteront libres de circuler ». Voilà la plus belle des ripostes que pouvait faire l’auteur. Son sort sera connu le 19 octobre.

Patrick Noviello

Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.