Retour, aux côtés de Marco Travaglio, vice-directeur de Il Fatto Quotidiano, sur les récents scandales de corruption liés au plan de sauvegarde de Venise et à l’organisation de l’exposition universelle de Milan 2015, qui ont mis en cause une partie de la classe dirigeante italienne. Un travers endémique, la corruption, dénoncé depuis toujours par le leader du Movimento 5 Stelle, Beppe Grillo, pourtant désavoué lors du vote pour les élections européennes.
S’il y avait encore en Italie un tant soit peu de décence, des millions de personnes bien comme il faut – électeurs, journalistes, intellectuels, et pourquoi pas, politiques et entrepreneurs – devraient lire l’ordonnance des juges de Venise sur l’affaire Mose [récent scandale de corruption et de détournement de fonds publics lié à l’opération de préservation de la ville de Venise, dans lequel sont impliqués de nombreux politiques, conseillers et magistrats, ndr], puis demander humblement pardon à Beppe Grillo et aux siens. Des années et des années gaspillées à analyser son langage, à décortiquer chacune de ses répliques, à déplorer son populisme, son autoritarisme, son instrumentalisation de la justice, à se demander s’il est de droite, de gauche, ou plutôt centriste, à s’indigner de sa grossièreté, à se scandaliser des expulsions des membres de son parti, à discuter de la coupe de cheveux de Casaleggio [cofondateur, avec Grillo, du Movimento 5 Stelle] et de la couleur de son trench, à se moquer des gaffes de ses parlementaires, à dénoncer son alliance avec l’improbable eurosceptique anglais Nigel Farage (nous l’avons fait, nous aussi, dans les pages de Il Fatto Quotidiano, parce qu’il était juste de le faire ; une dénonciation censée dans un pays normal : c’est-à-dire, pas en Italie). Et pendant ce temps, droite, gauche et centre – ceux-là mêmes qui s’expriment dans une langue soutenue et arborent des coupes de cheveux bien classiques – volaient. Ils volaient et ils volent tous, ensemble, toujours, régulièrement, scientifiquement, infatigablement, ils volent ; dans chaque œuvre publique, grande ou petite ; dans chaque événement, grand ou petit ; dans chaque marché public, chaque expertise, chaque fonction. Ou plutôt, chaque œuvre publique, chaque événement, chaque marché public, chaque expertise, chaque fonction ne sert qu’à faire tourner l’argent pour pouvoir le voler. Les lieux communs les plus ressassés du je-m’en-foutisme de bar – « ils s’arrangent tous entre eux, ils se servent tous comme ils veulent » – sonnent comme de timides gammes à côté de la bouche d’égout béante qui s’ouvre dès qu’un téléphone est mis sur écoute, dès qu’une personnalité est filée, dès qu’on interroge un entrepreneur. Il suffit de soulever un caillou au hasard pour voir s’enfuir les rats, les énormes rats, les blattes, et toutes sortes de bestioles malodorantes avec notre argent dans la bouche, ou dans l’estomac (le Mose devait coûter deux milliards d’euros, il en coûtera finalement six ; on sait désormais pourquoi). C’est la Grande Razzia qui a dévoré l’Italie et qui continue à en engloutir les derniers reliquats rescapés et réchappés de l’opération Mains propres, des scandales de ces vingt dernières années et de la crise financière, se nourrissant de l’impunité légalisée, de l’illégalité dédouanée et de l’hypocrisie politicienne de ceux qui voudraient encore nous faire croire qu’il existe des partis, des idées, des valeurs de droite, de gauche ou du centre.