Tan m’abellis vostre cortes deman,

qu’ieu no me puesc ni voill a vos cobrire.

Ieu sui Arnaut, que plor e vau cantan;

consiros vei la passada folor,

e vei jausen lo joi qu’esper, denan.

Ara vos prec, per aquella valor

que vos guida al som de l’escalina,

sovenha vos a temps de ma dolor!

(Dante, Purgatorio, XXVI, 140-147)

Tanto mi piace la vostra cortese domanda,

che non posso né voglio nascondermi a voi.

Io sono Arnault che piango e vado cantando;

vedo preoccupato la follia passata,

e vedo godendo la gioia che spero davanti a me.

Ora vi prego, per quel valore

che vi guida in cima alla scala,

ricordatevi, quando sarà il momento, del mio dolore!

Tant me plaît votre courtoise demande,

que je ne puis ni ne veux vous cacher mon nom.

Je suis Arnaud qui pleure et vais chantant,

par ce brûlant chemin, la folie passée,

et je vois devant moi le jour que j’espère.

Ores vous prie, par cette vaillance

qui vous guide au sommet de l’escalier,

de vous souvenir de ma douleur.

 

Ces vers, avec lesquels Dante fait parler le troubadour provençal Arnault Daniel, ne sont certainement pas les plus connus de la Divine Comédie. Cependant, ils témoignent de l’importance que la langue d’Oc a eu pour l’italien, dès ses débuts. Si Dante incarne l’exemple le plus célèbre, une grande partie de la littérature italienne des origines a été largement influencée par les poètes et troubadours provençaux. Citons par exemple la Scuola siciliana, qui se forma autour de la cour de Frédéric II au XIIIe siècle, dont les membres représentent un des premiers exemples de littérature en langue vulgaire italienne ou, au même siècle et au suivant, la poésie lyrique toscane dans le sillage de laquelle s’insèreront le courant littéraire du Dolce stil novo et Dante lui-même. Les poètes en langue d’Oc inspireront les poètes italiens non seulement du point de vue stylistique et thématique, dans le choix des sujets amoureux et courtois, mais aussi au niveau linguistique, en favorisant l’abandon du latin et l’adoption des langues vulgaires pour la littérature, à une époque où l’unité linguistique de la Péninsule était encore bien loin d’être réalisée.

Mais les contacts linguistiques et culturels entre l’Italie et ce qui est aujourd’hui appelé Occitanie ont été multiples et durables au cours des siècles. Le Royaume de Sardaigne, noyau autour duquel l’Italie fut constituée en 1861, comprenait également de vastes territoires qui font aujourd’hui partie de la France, comme Nice ou la Savoie. En réalité, même si les Alpes constituent une frontière naturelle dans cette région, il n’y a jamais eu, jusqu’à une période récente, de frontière politique. À l’époque romaine par exemple, les différentes vallées alpines, qui appartiennent désormais au Piémont, faisaient partie des provinces de la Gaule transalpine et, pendant plusieurs siècles, il y a eu diverses entités politiques dont le territoire s’étendait à cheval sur l’arc alpin, comme le Dauphiné qui, jusqu’en 1713, incluait plusieurs vallées piémontaises. Sans compter les voies de communication, très importantes, qui traversent le Piémont depuis l’Antiquité ; le col du Montgenèvre, qui se trouve sur la Via Domitia, principale liaison, à l’époque, entre l’Italie et la France, ou le col de la Madeleine.

Il est donc naturel que les frontières linguistiques ne coïncident pas avec les frontières naturelles et politiques. Ainsi, ce qui aujourd’hui est appelé Occitanie comprend une grande partie de la France méridionale, s’étend au-delà des frontières françaises, à l’ouest du val d’Aran, dans les Pyrénées espagnoles et à l’est dans lesdites vallées occitanes, dans le Piémont et en Ligurie. Il s’agit donc d’une quinzaine de vallées qui s’étendent en éventail le long de l’arc alpin dans la partie la plus occidentale de la Péninsule. Les principales sont les vallées de Susa, Chisone, Geramanasca et Pellice, dans la province de Turin, les vallées de Po, Varaita, Maira, Grana, Stura et Gesso dans la province de Cuneo, ainsi que quelques villes dans la province d’Imperia. Dans ces villes, on parle une langue de type occitan alpin qui, au fur et à mesure que l’on descend vers la plaine, se mélange et se confond avec le dialecte piémontais. L’italien s’est ajouté à ces langues après l’Unité, et actuellement la majorité des villes appartenant aux dites vallées occitanes sont trilingues. Avec le franco-provençal, parlé dans le nord de la province de Turin et dans la vallée d’Aoste, l’occitan contribue à la fragmentation linguistique du Piémont. On estime que, aujourd’hui encore, la moitié de la population, soit 100 000 personnes environ, parle ou comprend l’occitan. Une colonie linguistique occitane parlant le gardiol, une variété d’occitan, est également présente en Calabre, à Guardia Pielmontese, fruit de l’émigration d’une communauté vaudoise du Piémont au XVe siècle. Des communautés de religion vaudoise sont en effet présentes dans certaines vallées occitanes depuis des siècles, favorisées par la tolérance, puis par la reconnaissance dont elles bénéficièrent au sein du royaume de Sardaigne.

Après la Seconde Guerre mondiale, il y a eu en Italie une prise de conscience progressive de la nécessité de reconnaître et de protéger la variété du patrimoine linguistique national. En ce qui concerne l’occitan, c’est plus particulièrement à partir des années 1960 que s’est développée la conscience d’appartenir à un espace culturel et linguistique plus large, dont le centre de gravité se trouve au-delà des Alpes, avec la création d’associations pour la protection de la langue et de la culture et, plus tard, l’apparition de poètes, écrivains et musiciens qui ont utilisé l’occitan du Piémont dans leurs œuvres.

Aujourd’hui, l’occitan fait partie des douze langues minoritaires reconnues officiellement par la loi 482 de 1999, sur la base de laquelle cent six communes du Piémont (et deux en Ligurie) ont déclaré appartenir à la minorité linguistique occitane, contribuant ainsi à la reconnaissance de cette langue comme étant un des éléments qui font encore aujourd’hui de l’Italie un pays linguistiquement varié et polycentrique.

Fabio Montermini