On les appelle NEET, ces jeunes qui n’ont pas d’emploi, qui ne suivent aucune formation, ne sont engagés dans aucun stage. En Italie, ils sont parmi les plus nombreux d’Europe et victimes du status quo d’un pays fait pour les plus âgés.

Il existe des jeunes qui flottent dans leur existence comme s’ils étaient suspendus dans un éternel et immuable présent. Aucun changement possible à l’horizon, seulement une errance continue dans cette « blancheur » existentielle que le sociologue David Le Breton décrit comme « un moment de torpeur, un lâcher prise, provoqué par la difficulté de changer les choses. » Ces jeunes qui errent dans le monde, comme égarés, sont les NEET, acronyme de Not in Education, Employment or Training. Il s’agit des jeunes qui, pendant un temps plus ou moins long, ne font pas d’études et ne travaillent pas. Et qui restent en suspens dans des limbes insidieux qui les rendent invisibles à la société, un peu comme ces fantômes qui ne parviennent pas à trouver de rédemption et demeurent sur la Terre à terroriser les vivants. L’Italie compte parmi les pays européens dans lesquels le phénomène est le plus important, bien au-delà de la moyenne européenne de 11,7 %. Pire que nous, il n’y a que la Roumanie. Les chiffres alarmants de ce record peu honorable sont bien vite arrivés aux oreilles du gouvernement italien, qui a réagi dans le dernier décret « Lavoro » [Travail] du mois de mai dernier, accordant pour toute l’année 2023 d’importantes incitations aux employeurs qui décident d’embaucher des NEET. Une initiative utile, honorable, mais qui ne résout toujours pas le problème. En effet, pour comprendre véritablement les raisons structurelles pour lesquelles, en Europe, ce sont surtout les jeunes Italiens qui se transforment en « fantômes », il faut aller au plus fond, en creusant dans les méandres les plus reculés du marché du travail italien.

CES JEUNES DE 35 ANS

En Italie, presque la moitié des jeunes âgés de 15 à 34 ans ont un contrat non standard, c’est-à-dire à durée déterminée ou de collaboration occasionnelle. Avec un résultat : à cause de ce labyrinthe infini de contrats et « petits contrats », la vie des jeunes en Italie est aujourd’hui devenue une succession de petits boulots, tandis que la possibilité de trouver une véritable occupation, solide, s’est transformée en exception, sinon en utopie. En somme, le « poste fixe » tant convoité ressemble aujourd’hui à un mirage. 

Il est ainsi très facile de tomber dans l’abysse NEET et l’espoir d’atteindre tôt ou tard une indépendance économique se fait toujours plus lointain. Non sans conséquences. Être précaire et l’être pour un temps long influe, directement ou indirectement, sur la possibilité pour le jeune des faire des enfants et de se créer son indépendance. Ce n’est pas un hasard si les jeunes Italiens sont parmi ceux en Europe qui quittent le plus tard la maison familiale, à plus de 30 ans. Un âge surprenant pour un pays comme la France, par exemple, où les jeunes quittent la maison de leurs parents bien plus tôt. Ainsi, tandis que le stéréotype se limite à les qualifier de « mammoni », il ignore la véritable cause du problème : l’Italie est un pays profondément « adultocentré » parce qu’il est toujours plus vieux. Et on le sait bien, c’est la majorité qui dicte les règles, détient le pouvoir et lutte pour le garder, au détriment des minorités, ici les jeunes, contraints d’accepter des alternatives « au rabais », les miettes restées sur la table. Ce qui explique aussi ce processus accentué de déresponsabilisation mis en œuvre par les plus âgés, qui ont tout intérêt – au nom de leur esprit d’autoconservation – à traiter les jeunes comme d’éternels enfants jamais prêts à marcher seuls au milieu des embûches du monde. Ce n’est pas un hasard si les chiffres et les rapports qui concernent l’Italie comptent parmi les « jeunes » des personnes jusqu’à leurs 35 ans, âge auquel l’on n’est bien sûr pas vieux, mais pas non plus dans la même condition que quelqu’un de 18 ans qui sort tout juste du lycée. Et pour rendre le tout plus compliqué encore, une autre tendance typiquement italienne : l’inefficacité de l’activité des agences pour l’emploi, vecteur étatique chargé de mettre en œuvre les politiques publiques en matière d’emploi. Ces agences devraient représenter le principal outil de réduction du nombre des NEET, en particulier à travers la réalisation du plan « Garanzia giovani », cofinancé par l’Union européenne, avec l’objectif de former et donner du travail aux jeunes au chômage. Mais seul un jeune sur dix est vraiment parvenu à trouver du travail à travers ces structures.

LE PARI UNIVERSITAIRE

Le discours ne va pas en s’améliorant pour les jeunes qui décident de poursuivre leurs études après le bac, surtout pour ceux qui ne disposent pas d’importantes ressources économiques. Les articles de presse de ces derniers jours et la « manifestation des tentes » organisée par les étudiants qui étudient loin de chez eux contre l’augmentation des loyers le prouvent. L’histoire d’Alessandro Cerioni, étudiant de 24 ans inscrit à l’École polytechnique de Milan et originaire des Marches, est particulièrement éloquente. Il dénonce en effet un loyer de plus de 650 euros par mois pour une chambre d’à peine 9 mètres carrés, une cellule en somme. Il n’est pas surprenant que les chiffres nous parlent d’une baisse croissante des inscriptions, étant donné qu’il faut ajouter à la location le coût des droits universitaires, de la nourriture et un peu d’argent de poche pour passer la soirée avec des amis. La solution au problème pourrait être la plus évidente : augmenter les places disponibles dans les résidences étudiantes ou en construire de nouvelles en réhabilitant les immeubles abandonnés. On pourrait aussi penser à des interventions vouées à amortir les prix des loyers, avec des prix fixes ou des avantages fiscaux pour les propriétaires qui louent à des étudiants. Aussi parce qu’en Italie, l’université apparaît de plus en plus comme étant un pari très coûteux, vu qu’avoir un diplôme ne signifie pas trouver un emploi avec certitude : le taux d’occupation des 30-34 ans italiens diplômés est bien en dessous de la moyenne européenne. L’on a l’impression que toujours moins de jeunes choisiront l’université. Ceux-ci, s’ils ne réussissent pas ensuite dans l’entreprise ardue de trouver du travail, se transformeront bien vite en nouveaux NEET, prêts à errer avec les autres fantômes de notre époque dans un pays qui n’est pas pensé pour eux. Peut-être choisiront-ils de voler ailleurs, au-delà des frontières, pour retourner enfin à la vie. Et comment les blâmer.