On trouve une grande variété de fromages tout le long du territoire italien, des Alpes à la plaine du Pô, des Apennins aux îles. Vaches, brebis, chèvres et bufflonnes paissent depuis des siècles dans ces régions différentes à la recherche de l’habitat parfait : prés alpins ou vastes plaines, zones marécageuses ou collinaires. Gardons à l’esprit que le fromage est toujours le reflet du territoire dont il est issu.

ALESSANDRA PIERINI

Au VIIe siècle av. J.-C. déjà, dans le chant 9 de l’Odyssée, Homère cite le fromage produit en Sicile par le cyclope Polyphème, probablement une sorte de ricotta de brebis, premier animal, aux dires de l’écrivain Marcus Terentius Varron (116-27 av. J.-C.), à être tombé aux mains de l’homme qui trouva dans sa laine un doux vêtement et dans sa chair et son lait un aliment nourrissant.

Les Étrusques nous ont transmis la râpe, que l’on a retrouvée dans de nombreuses tombes, signe de l’importance particulière que revêtait cet objet grâce auquel on râpait le fromage affiné, au point de l’emporter avec soi pour l’éternité.

Les Romains nous ont fourni de précieux témoignages sur leur production fromagère, par exemple dans l’Histoire Naturelle de l’encyclopédiste Pline l’Ancien (23-79 ap. J.-C.) qui en vante les qualités. Le terme formaggio dérive du latin formaticum, c’est-à-dire préparé dans un moule (forma) et, dans l’Antiquité, l’expression précise qui désignait le fromage était caseum formaticum, lait caillé dans un moule.

Des alpages reculés des montagnes du nord jusqu’aux grandes fromageries du sud, le fromage est une institution dans notre Bel Paese. D’ailleurs, il est intéressant de souligner le jeu de mots sur le Bel Paese, un fromage créé en 1906 à partir d’une recette élaborée par Egidio Galbani, qui devint un produit novateur de grand succès, imaginé pour concurrencer les fromages français raffinés.

Premier né des fromages de type Italico (dénomination officielle créée en 1941 pour désigner toute une série de fromages de table à pâte semi-molle et à la saveur douce, ndr), il prit son nom du titre d’un livre, Il Bel Paese (1873), dans lequel l’abbé Antonio Stoppani décrit minutieusement les caractéristiques géophysiques italiennes.

Poursuivons ensemble notre voyage à la découverte de quelques-unes des 487 variétés de fromages italiens – peut-être même davantage encore – du nord au sud, parmi lesquelles 52 sont classées DOP (Denominazione di Origine Protetta).

LES ALPES

Commençons par la Vallée d’Aoste et ses excellents fromages de montagne encore aujourd’hui produits selon d’anciennes traditions, comme le Fromadzo, mi-gras, obtenu à partir de lait cru de vache avec parfois un ajout de lait de chèvre, à pâte molle et au parfum prononcé d’herbes et de fleurs de pâturage ou la Fontina, véritable symbole de la région et ingrédient par excellence de son plat typique, la fondue. Elle est produite avec du lait cru de vaches de la Vallée d’Aoste, et elle est affinée en moyenne pendant 4 ou 5 mois, de façon à ce que le produit ait une consistance tendre idéale et un goût fruité et délicat. Il existe encore une production très rare de Fontina estrema d’alpeggio, à plus de 2 500 mètres d’altitude (qualifiée en 2016 de « produit laitier d’excellence le plus élevé d’Europe »), qui n’a lieu que pendant quatre semaines par an, entre mi-juillet et mi-août, dans certains alpages où la floraison de plantes et de fleurs particulières ne dure que 48 heures.

On peut déguster ces trésors du territoire aussi bien avec des vins blancs frais et légers qu’avec des vins rouges structurés et denses, et je ne peux que vous conseiller les vins valdôtains, comme le blanc Petite Arvine et le Fumin noir.

Les origines du Castelmagno sont très anciennes. Certains documents datant de 1277 attestent que ce fromage piémontais de la vallée de Cuneo constituait une monnaie d’échange. Produit à partir de lait de vache cru entier et de faibles ajouts de lait de brebis ou de chèvre, à pâte semi-dure blanche ou persillée, le Castelmagno a la forme d’un haut cylindre d’environ 5 kg, une croûte fine et une pâte friable et compacte. Selon l’affinage, il peut présenter des veinures vertes. Il était autrefois surtout utilisé comme composant de spécialités locales, comme les ravioli, les gnocchi ou la polenta. Aujourd’hui devenu beaucoup plus rare et précieux, il se consomme essentiellement comme fromage de table accompagné de vins rouges locaux très prestigieux à l’image du Nebbiolo d’Alba vieilli, du Barbaresco ou du Barolo.

Je voudrais m’ attarder sur une spécialité typique des Langhe, le Robiola di Roccaverano, qui fait partie, de même que la Formaggella del Luinese, le Fatuli’ della Valcamonica, le Blù di capra et le Cadolet en Lombardie, le Vecjo di Cjavre dans le Frioul, le Stracchino di capra dans le Latium, le Cacioricotta et le Caprino dei Monti Lattari en Campanie, les fromages de chèvre Girgentana et le Padduni en Sicile, des rares fromages de chèvre traditionnels produits en Italie.

En dialecte du Haut Val Brembana, dans la province de Bergamo, mut signifie montagne et, par suite, l’alpage de haute montagne, entre 1200 et 2000 m d’altitude, où les vaches paissent durant l’été. Le Formai de mut est donc un fromage au lait cru entier issu de ces animaux et sa production, qui n’est que de 2000 meules environ, se fait dans les 40 casere d’altitude (le nom dérive du latin caseus, fromage), de grandes cabanes où trouvent refuge les éleveurs. L’affinage du fromage produit en alpage se poursuit ensuite au fond de la vallée. Toujours dans ces pâturages est façonné le Bitto, du celte bitu qui signifie éternel. Sa saveur est douce et délicate, devenant de plus en plus prononcée au fur et à mesure de l’affinage. L’éventuel ajout de lait de chèvre rend plus intense son arôme caractéristique. Mais l’aspect le plus intéressant de ce fromage est sa production protégée par Slow Food, qui prend le nom de Bitto Storico Ribelle, produit exclusivement au cours des mois d’été en alpage, avec le lait de vaches de race brune des Alpes et de chèvres autochtones Orobica ou Valgerola ; le cahier des charges est très strict et les zones de production sont plus limitées, avec des meules qui peuvent être affinées plus de 10 ans, caractérisées par une forte personnalité et une palette de saveurs extraordinaires.

Pour accompagner ces fromages, il convient de miser sur un vin rouge de haute volée, comme le Sfursat della Valtellina, fruit de la vinification de raisins nebbiolo longuement séchés dans les fruiteries, au caractère fort, dense, ample et sec.

LA PLAINE DU PÔ

Dans toute la plaine du Pô, caractérisée par l’élevage de vaches, mais aussi dans les collines piémontaises, le sud de la Vénétie et du Frioul et en Romagne, on produit des fromages très connus comme le Grana Padano et le Parmiggiano Reggiano, le Gorgonzola dans ses versions douce et forte, le Taleggio à la pâte molle et très crémeuse, le Piave, l’Asiago, le Montasio (des tommes qui vont de 2 à 6 mois d’affinage, avec quelques exceptions pour la version « extra-vieille » qui peut aller jusqu’à un an). Le Squaquerone, à pâte molle, frais, proche de la Crescenza ou du Stracchino, lui aussi crémeux et tartinable, est l’ingrédient principal de la piadina, street food typique de Romagne : un disque de pâte farci de divers ingrédients, replié et cuit sur une plaque ronde de terre cuite.

Autre spécialité de Romagne, le formaggio di Fossa, fromage de fosse ou de puits. Réalisé avec du lait de vache, de brebis, un mélange des deux ou même du lait de chèvre, sa particularité est de terminer sa période d’affinage dans des puits circulaires. Antique tradition attestée dès le haut Moyen Âge, elle est aujourd’hui à l’origine de la production de spécialités DOP tel que le formaggio di Fossa di Sogliano.

LES FROMAGES À PÂTE FILÉE

Fromages d’excellence typiquement italiens réputés facile d’utilisation en cuisine grâce à leur versatilité, leur consistance et leur goût inimitable, ils comptent parmi les produits les plus iconiques et connus du sud de l’Italie, depuis le Molise jusqu’à la Sicile, en passant par la Campanie, la Basilicate, la Calabre et les Pouilles. Ils trouvent leur origine dans un processus de fabrication déjà connu à l’époque des Romains : le caillé n’est pas mis dans des moules comme pour les autres fromages, le lait est acidifié, puis le caillé est travaillé dans de l’eau chaude, c’est-à-dire filé, puis modelé.

Cette catégorie comprend les fromages très frais – comme le fior di latte (vache), la mozzarella (bufflonne ou vache), la burrata (vache surtout, rarement bufflonne) – et les fromages frais de vache à l’aspect typique de poire – comme la scamorza, la provola, le provolone, le caciocavallo (ces deux derniers peuvent avoir différents temps d’affinage, de quelques jours à plusieurs mois). On peut trouver tous ces fromages natures ou fumés, une technique qui apporte une note typique de saveur, mais qui permet aussi une plus longue conservation. Il en existe de nombreuses variantes selon les régions. Impossible de ne pas citer le Provolone del Monaco de la péninsule de Sorrento que l’on produit depuis le XVIIIe siècle, uniquement à partir de lait cru de vaches de race Agerolese, et d’une durée d’affinage de 6 mois qui permet d’atteindre un goût légèrement piquant rehaussant toutes les délicieuses recettes locales, parmi lesquelles les spaghetti alla Nerano, accompagnés de courgettes frittes et de basilic.

En Sicile, le Caciocavallo ragusano, également appelé scaluni en dialecte en raison de sa forme qui rappelle une marche d’escalier, est l’un des fromages les plus anciens de l’île, que l’on râpe volontiers sur les pâtes.

Voici quelques exemples de vins à accorder avec ces fromages plus frais, gras, à tendance suave et crémeuse. Il faut nous orienter vers la légèreté et la douceur à l’image de celles des vins blancs Roero Arneis, Fiano di Avellino, Vermentino di Gallura, Vernaccia di San Gimignano, Verdicchio Castelli di Jesi, Falanghina, Greco di Tufo, Aspirinio d’Aversa ou Locorotondo pugliese.

Pour les versions plus affinées au goût plus prononcé, il convient de se tourner vers des vins plus aromatiques et structurés comme les rouges Taurasi, Aglianico del Vulture, Falerno del Massico Rosso ou Refosco.

LES PECORINI, FROMAGES DE BREBIS

Le pecorino est considéré comme l’un des fromages italiens les plus anciens, dont l’archétype fut produit dans le grand territoire rural de l’Agro Romano, qui lui a donné son nom. Plus tard, la production de fromage au lait de brebis s’est répandue dans de nombreuses régions d’Italie, depuis la Toscane jusqu’au sud, avec des caractéristiques différentes selon les régions et, si les alentours de Rome furent le berceau de l’élaboration du pecorino Romano depuis fort longtemps, dès la fin du XIXe siècle, c’est la Sardaigne qui devient le principal centre de production, grâce à sa très ancienne tradition agro-pastorale. Actuellement, le seul pecorino Romano fabriqué dans la région du Latium est le Rustico Deroma, produit dans la fromagerie Casearia Agri, à Torrita Tiberina. Le reste de l’énorme production DOP provient de Sardaigne.

Le pecorino peut être frais, à pâte molle, affiné à pâte dure ou pressée, crue ou mi-cuite, d’une couleur qui va du blanc au jaune paille, avec une croûte compacte et épaisse, un affinage qui va de 2 à 10 mois. C’est un fromage idéal pour être aromatisé naturellement au cours de son élaboration avec du poivre en grain, du piment, des pistaches, du safran et d’autres parfums et plantes typiques de chaque région de production.

À côté du pecorino Toscano DOP, dont l’histoire remonte à l’époque de Laurent le Magnifique, et connu sous le nom de cacio Marzolino, nous trouvons le pecorino di Pienza semi-affiné, à la croûte rouge colorée au jus de tomate, et affiné, à la croûte noire. Un fromage à la saveur unique due au terrain argileux des pâturages siennois, dont les herbes parfumées procurent au lait un goût particulier de châtaigne et de laurier. Un goût qui sera exalté par la saveur ronde, acidulée, fruitée et élégante de la variété de raisin Sangiovese que l’on retrouve dans un vin tel que le Morellino di Scansano, élégant et au tanin délicat, un beau Chianti classico, floréal, fruité et épicé ou encore un Rosso di Montalcino, petit frère du célèbre Brunello, mais plus jeune, frais et agréable.

À cheval sur le Latium, le Molise et les Abruzzes, la production de pecorino di PiciniscoDOP est classée en deux catégories, le scamosciato, plus doux et délicat, et le stagionato, plus affiné, piquant et intense, qui peut parfois contenir aussi de petites quantités de lait de chèvre de race locale. On le déguste surtout tel quel pour mieux en apprécier toutes les nuances qui pourront être accentuées par des vins blancs aromatiques de la région du Latium, comme le Maturano, un vignoble autochtone intensément fruité aux essences qui rappellent l’ananas, la pêche, la banane, accompagné de notes herbacées et vivifié par une discrète minéralité.

La Sicile, autre terre de pecorino, est la patrie du Canestrato pepato frais, de table, et sec, souvent utilisé en cuisine, qui se présente sous forme de meules plus ou moins grandes que l’on laisse sécher dans des paniers dont il tire son nom.

Particularité de la région d’Enna aujourd’hui protégée par Slow Food, le Piacentinu Ennese est un fromage d’environ 5 kg, parsemé de grains de poivre noir, à pâte lisse et de couleur jaune or grâce à la présence de safran dans sa composition. La production du Piacentinu Ennese DOP était déjà répandue dans l’Antiquité et l’ajout de safran remonte au XIe siècle, durant la domination normande, quand le comte Roger fit préparer le fromage avec du safran pour guérir son épouse Adelasia qui souffrait d’une dépression, l’épice étant alors réputée pour ses propriétés curatives. Ce fromage est délicieux dégusté avec du miel, des fruits confits ou des fruits secs, accompagné d’un vin liquoreux à l’image des extraordinaires Moscato et Passito di Pantelleria, autres excellences siciliennes.

A.P.