Palerme, Bagheria, le palais Gangi, Syracuse, en passant par Catane et Noto. Une plongée au cœur de la Sicile baroque et des trésors qu’elle renferme, aux côtés de Dominique Fernandez, Académicien et auteur du Dictionnaire amoureux de l’Italie (Plon, 2008).

Palerme, ville fascinante par sa vitalité tumultueuse, présente pour le voyageur quatre centres d’intérêt majeurs. Un point commun les réunit : le baroque. Les marbres colorés, mieux dits marqueteries de marbre, marmi mischi, spécialité locale, dont la somptuosité donne une idée de la richesse et de la politique des églises au dix-huitième siècle. Santa Caterina, la plus fastueuse de ces églises polychromes, chargée de cannelures, d’arabesques, de cabochons de pierres précieuses, est presque toujours fermée, mais il y en a deux autres, S. Giuseppe dei Teatini, et surtout l’église du Gesù, qui surprennent chaque fois qu’on y entre. L’église du Gesù, en plein quartier populaire, est une débauche d’incrustations en marbre de toutes les couleurs, avec des ribambelles de putti, d’adolescents non moins nus, d’anges, de paons, de chiens ailés, de griffons accrochés aux parois ou aux piliers, dans un mélange exubérant de réel et de fantastique. Dans le chœur, derrière l’autel, le sculpteur Vitagliano a campé dans des niches des scènes de l’Ancien Testament, tirées de l’histoire de David et illustrées avec une emphase d’opéra. Trois hommes du peuple, représentés dans leur activité quotidienne, tranchent sur cette pompe théâtrale : un meunier, un vigneron et un porteur de pain. Motifs naturalistes dans un décor lyrique. Ces différentes statues se détachent sur une marqueterie jaune et bleu qui sert de toile de fond.

— Le palais Gangi, rendu célèbre par Visconti qui y tourna le bal du Gattopardo, est le seul palais de l’ancienne aristocratie à être en bon état, grâce à l’intelligente énergie de l’actuelle propriétaire, une Française de Lyon qui a épousé le prince Gangi. Elle fait visiter l’enfilade des salons restaurés par ses soins, meuble par meuble, tenture par tenture, bibelot par bibelot, réparés, recollés, nettoyés, polis, lustrés avec un sérieux et une abnégation admirables. Des cabinets de la plus grande rareté, des lustres aux branches profuses, des fauteuils aux pieds chantournés, de précieuses frivolités ornent chaque pièce sans que jamais on pense à l’argent qu’ils ont coûté et continuent à coûter. La salle de bal et la salle des miroirs attenante sont parmi les plus beaux vestiges des antiques splendeurs d’une classe aujourd’hui presque entièrement déchue. Quel goût impeccable elle avait ! Tout n’est que beauté et harmonie, sans aucune ostentation. Rien de semblable n’existe en France, sauf dans les palais des rois. Les pouvoirs publics ont reçu en don une autre de ces demeures princières, le palais Mirto, et l’ont ouverte au public : d’un faste moins spectaculaire que le palais Gangi, mais avec quelques tableaux intéressants.

Dominique Fernandez, écrivain et membre de l’Académie française

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