Michela Murgia, auteure notamment de Accabadora et de La Guerre des saints, réagit, en commentant la couverture de L’Espresso du 17 juin dernier, au tournant politique que prend l’Italie depuis les élections qui ont mené au pouvoir le gouvernement d’alliance entre la Lega et le Mouvement 5 étoiles.
Quand j’ai vu, en couverture de la revue L’Espresso en juin dernier, les deux visages côte à côte de Matteo Salvini, ministre de Intérieur, et d’Aboubakar Soumahoro, représentant syndical des travailleurs immigrés exploités dans nos campagnes, je me suis dit : voilà ce que veut dire choisir son camp. C’est le sens de l’expression « les hommes et les autres », titre qui, en plus de reprendre textuellement celui du roman d’Elio Vittorini [publié en 1945, ndr], affirme qu’il existe une différence précise entre ce qui fait partie de la catégorie de l’humain et ce qui, en revanche, est inhumain ; or il faut faire très attention à ne pas oublier cette différence parce que dans certaines conditions, si on les accepte, rester humain peut devenir impossible.
Face à cette prise de position, le réseau des partisans de Salvini a poussé des cris sauvages : « Vous avez perdu, acceptez-le : aujourd’hui les choses ont changé ! ». Mais choisir son camp, ce n’est pas refuser de perdre : c’est vouloir que le jeu se fasse de telle sorte que participer soit encore possible pour tous. Cela signifie tracer une ligne nette entre ce qu’il est légitime de faire et ce qui ne l’est pas, et dire sans détour que l’on ne peut ni ne doit aller au-delà de cette limite, parce qu’il y a de l’autre côté quelque chose qui change complètement les règles du vivre ensemble. Ce n’est donc pas le conflit qui pose problème, au contraire : les différences d’opinions et leurs incessantes confrontations sont l’Adn des systèmes démocratiques. […].