Dans le reste de l’Europe, il suffit d’un rien pour faire chavirer une carrière politique. Du cas du ministre français Jérôme Cahuzac contraint à la démission et expulsé du parti pour avoir ouvert des caisses noires en Suisse, au ministre allemand qui avait copié un mémoire universitaire, en passant par l’homme politique anglais qui avait payé les travaux dans sa maison avec l’argent de l’État. Dans n’importe quel pays normal, celui qui ne respecte pas les règles finit par payer. En Italie, non.
En Italie, on pourrait croire que rien, pas même une condamnation définitive, ne saurait ruiner la carrière d’un homme politique. On ne peut s’étonner de la stupeur que suscite cette anomalie italienne auprès des étrangers. Une stupeur, mêlée à un véritable intérêt, qui caractérise les observateurs tant de droite que de gauche. Déduction faite du moralisme de chaque pays qui, parfois, est vraiment excessif, la question que tout le monde se pose est : comment font les Italiens pour continuer à soutenir quelqu’un qui vient d’être condamné en dernière instance ? J’ai posé la question à de nombreuses personnes rencontrées au hasard de mes pérégrinations, lors de mon séjour estival dans la Péninsule. Une espèce de mini-enquête sur les Italiens avant la reddition finale. Parce que l’Italie est en train de vivre un moment crucial : suspendue entre le tournant décisif vers un retour à la normale et le désastre final.

J’ai découvert que les partisans de Berlusconi, des personnes au demeurant fort sympathiques et aimables, nient tout simplement et continuent à nier, non seulement la raison pour laquelle Berlusconi a été poursuivi, mais aussi celle pour laquelle il a été condamné. Et j’en ai rencontré beaucoup. Parfois, je les regardais comme s’ils étaient des martiens. Je leur ai posé toutes les questions que je pouvais, et j’ai compris que pour eux, tout ce dont Berlusconi est accusé n’existe pas. Ils nient tout en bloc, considèrent que tout est complot. Et leur conviction est telle qu’il est impossible de la démonter.
Je peux vous assurer que j’ai essayé, mais en vain. La théorie du complot ne tolère pas d’arguments contraires : quel que soit le raisonnement, rien ne peut l’ébranler. C’est même une démonstration évidente du complot en cours. Une véritable forme de paranoïa collective. Ce qui me surprend le plus, c’est cette conception de l’État qui rapproche Berlusconi et nombre de ses partisans. Pour le Cavaliere, c’est l’État qui doit s’adapter à ses besoins et à ses intérêts et non pas l’inverse. Une vision qui, en France, mais aussi dans tout autre pays normal, est inconcevable.

Rocco Femia