Le regard du réalisateur Andrea Segre sur la résistance des résidents en marge d’une ville « consommée » où la marée haute devient une attraction en soi.

Le long pont en bois qui unit le quartier du Castello à celui de San Pietro est désert. Il n’est pourtant pas si tard, sept heures, peut-être sept heures et demie.
Mais je suis seul. J’entends les bruits de mes pas sur les planches mouillées, Je vois les lumières humides des lampions, le canal paisible et gonflé, les barques endormies dans une fatigue trop semblable à la douleur. Je vais doucement pour comprendre ce qu’il faut respirer et, peut-être, comprendre, quand Antonio arrive derrière moi. Il a un très beau chapeau en laine grise et le pas régulier et distrait de celui qui, sur ce pont, est comme chez lui. Nous nous saluons. C’est inévitable. Nous sommes seuls. « Je suis sorti pour marcher un peu, pour savoir qui est là, comment les gens vont, comme nous allons ». « Moi, je ne fais que passer ». Il me regarde avec affection, sachant déjà de quoi nous parlerons. Antonio a 75 ans, il était là en 1966 [la marée avait atteint 1 m 94, ndr.], et il se souvient bien de tout. « Ma sta volta xè sta’ pegio » (Mais cette fois, ça a été pire).

Andrea Segre / L’Espresso