Aujourd’hui je commencerais en énumérant quelques bonnes nouvelles qui semblent à première vue éloignées les unes des autres, mais peut-être pas tant que ça.

Les bonnes nouvelles de solidarité et partage se poursuivent les unes après les autres. Même Berlusconi, il y a quelques jours, a décidé de donner 10 millions d’euros à la région Lombardie durement touchée par le virus. Quelques heures passent et la famille Agnelli fait de même ainsi que d’autres milliardaires et multimillionnaires italiens qui se décident à être solidaires. Lavazza, Barilla, et d’autres font de même.
Certes, à propos de Berlusconi il est très difficile de parler de générosité Condamné à 4 ans d’emprisonnement et à 10 millions d’amendes pour une fraude fiscale de 7,3 millions, qui n’est rien d’autre que la dernière tranche ayant survécu à la prescription d’une fraude de 368 millions de dollars de fonds noirs dans des paradis fiscaux, nous sommes sûrs que le mot exact pour qualifier son petit chèque soit « aide, « don », « bienfaisance » et non pas plutôt « restitution tardive du dû » ?
   Mais bon, allons plus loin dans cette histoire. C’était juste pour éloigner de moi l’idée de faire l’exaltation ou l’éloge des riches qui mettent la main à la poche, bien au contraire.
C’est bien qu’ils le fassent, mais s’ils ne le font pas maintenant, alors quand ? Or, impossible de ne pas relever un autre aspect dans cette affaire : la disponibilité de sommes gigantesques d’argent. Les États, l’Europe également, trouvent aujourd’hui des ressources sans précédent pour faire face à la tragédie. Très bien, mais l’histoire selon laquelle il n’y a plus d’argent et nos ressources ne sont pas infinies en prend un sérieux coup et révèle toute son hypocrisie. L’argent a toujours été là, il suffisait de savoir où et pour quoi l’employer. Le virus permet de légitimer son emploi, tout à coup, en rendant possible n’importe quel choix financier et en mettant en pause toutes les réformes qui menaient la bagarre politique, soudainement devenues secondaires. Or, la pauvreté et le chômage étaient bien là, déjà, tels des fléaux qui empêchaient à la dignité humaine de s’exprimer. La planète avait bien demandé à maintes reprises de l’aider avec des action concrètes avant qu’un foutu virus nos permette à nouveau d’entendre les oiseaux et de voir le ciel bleu dans nos ville devenus tristement grises à cause de la pollution. Et pourtant, personne n’a levé le petit doigt, du moins pas dans les dimensions dans lesquelles on le fait aujourd’hui. Aujourd’hui, le dos au mur, nous voici devenus généreux par nécessité et au fond, par besoin de se protéger, parce qu’on a compris une vérité essentielle : personne ne peut être heureux tout seul.

Il a fallu un virus pour nous faire comprendre que l’argent n’est pas tout, et que ceux qui en possèdent en grande quantité auraient pu le mettre à disposition avant même que la tragédie ne les oblige à être généreux. Sans doute beaucoup de fortunés, depuis longtemps, font beaucoup pour les plus pauvres et les plus fragiles qui vivent parmi nous, mais le fossé est si immense que cet effort se révèle une goutte d’eau dans l’océan des besoins. Évidemment, il n’est jamais trop tard pour donner.
Très bien, donc, si les milliardaires et les multimillionnaires, poussés par un souffle et un élan d’humanité décident de soulager leurs poches et peut-être aussi un peu leurs consciences endormies.
Mais cela révèle encore, aujourd’hui et surtout une fois la tempête derrière nous, que personne ne pourra plus dire qu’il n’y a pas d’argent pour ceux qui souffrent et se trouvent en difficulté. Qu’il n’y a pas d’argent pour les hommes, qu’il n’y a pas d’argent pour le climat et la sauvegarde de la planète. Qu’on ne peut pas dire qu’on ne peut rien faire parce que les moyens manquent. Cette hypocrisie est terminée.

Un virus mortel met le monde à genoux et fait comprendre qu’il n’y a pas d’avenir, il n’y a pas de joie, il n’y a pas de bonheur seul ou pour un groupe privilégié de personnes.
Soit on se sauve tous ensemble, soit on meurt tous dans cette épreuve sans précédent.

En ce sens, le coronavirus est devenu une ligne de partage pour tous ceux qui voulaient nous faire croire à la nécessité de se vouer au marché boursier, à la force de l’argent qui, si bien spéculé apporte richesse et bien-être pour tous. Qu’un déficit de 3% est le maximum qu’un État puisse se permettre pour faire vivre dignement « tous » et non pas seulement ceux qui ont déjà « tout ».
Le coronavirus nous donne une leçon : les histoires des frontières fermées, les appels à « d’abord les Italiens » ou « d’abord les Français » se révèlent en fait de banals jardins individuels imprégnés d’égoïsme.
Ils n’ont jamais servi à rien.
Tout simplement parce que l’homme est à concevoir dans son irréductible finitude mais aussi dans sa grande quête d’infini. Impossible de le contraindre dans un seul espace. Parce que son universalité incontestable fait de lui un citoyen du monde et non d’une maison ou d’un château bien aménagé. Seuls de petits esprits déformés peuvent encore réclamer des espaces personnels et des frontières à fermer.
La pandémie est en train de révéler la fragilité d’une économie basée sur le profit à tout prix, mais aussi la nécessité pour nous, êtres vivants, de récupérer un minimum d’humanité.
J’avoue qu’aujourd’hui, tout en essayant de trouver des appuis positifs, je me suis vu pessimiste et triste. Une tristesse engendrée par celle de tant d’amis et de compagnons de route qui vivent avec une extrême difficulté ce moment, qui est aussi la mienne et je pense celle de beaucoup d’entre vous. Mais cela n’a pas duré longtemps. Mon optimisme a pris le dessus et dans ces moments, il se révèle précieux.
Mais je voudrais vous dire que si nous continuons, dans ces rendez-vous quotidiens, à écrire de belles choses et à nous informer sur ce qui se passe, peut-être est-il temps d’aller plus loin et de considérer une chose simple mais incontournable : si nous sommes en train de tout faire pour trouver les moyens de résoudre (je l’espère) un problème aussi grave, en faisant fi des paramètres financiers et des cours boursiers, cela signifie qu’il est temps de réécrire totalement la façon et les règles de notre vivre ensemble aussi pour l’après virus. Que certaines choses qui étaient impossibles avant le 10 mars 2020 devront désormais devenir loi dans nos pays respectifs, sur la planète tout entière. Nous aurions pu le faire plus tôt, mais force est de constater nous n’avons pas eu le courage de nous dire la vérité, parce que nous nous sommes soumis au marché, telles des victimes sacrificielles, qui a tout vendu et acheté y compris nos âmes. En ce sens, le virus ouvre des brèches de lumière inimaginables jusqu’à hier. Il suffirait de 7 lignes directrices, telles les couleurs de l’arc-en-ciel, pour faire la différence :

IL EST TEMPS d’une économie du bien commun qui conjugue les légitimes biens personnels, la trop grande richesse accumulée par quelques-uns, avec une plus grande vérité du bien commun et d’une saine redistribution du bien-être, pas de la richesse qu’au contraire il faudrait reconsidérer comme une non-valeur. Et enfin l’impératif moral de bannir toute pauvreté qui n’est plus tolérable. Même la nature ne le tolère plus.

IL EST TEMPS de témoigner par la vie et les actions de notre crédibilité. Qu’il n’y a plus de croyances et de dogmes qui apaisent et orientent les consciences, mais seulement des hommes et des femmes « crédibles » en harmonie avec leurs idéaux, qui incarnent les valeurs en lesquelles ils croient. Peu importe leur appartenance, culture, origine ou religion. Des gens simples qui, sans se perdre dans des mots inutiles et serviles au pouvoir des marchés, sont capables d’annoncer une capacité nouvelle de vivre dans la justice et la solidarité permanente. Il n’y a plus de temps pour les tergiversations et les excuses.

IL EST TEMPS d’intérioriser nos choix de vie. Ce virus fait peur et inévitablement fait ressortir chez beaucoup d’entre nous les questions que nous trouvions jusqu’à présent superflues et, pour beaucoup d’entre nous, irrecevables : Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ?
L’existence est aussi esprit, mystère et aujourd’hui plus que jamais devient un élément de soutien de notre vie ensemble.

IL EST TEMPS de s’occuper sérieusement de la nature et de notre corps avant qu’il ne soit trop tard. De cette épreuve et cette tragédie sanitaire nous sortirons certainement. Mais il faut en sortir la tête haute (c’est mon souhait), sinon c’est le début de la fin. Or étant donné que nous ne serons plus ce que nous étions avant le virus et étant donné que nous nous retrouverons sûrement plus pauvres qu’avant, profitons-en pour nous allier à la Nature, ne la contrarions pas mais ayons-la comme alliée et complice, avec tout ce qui nous entoure afin que nous puissions vivre dans un corps sain, parce que nous avons eu le courage de bonifier aussi notre esprit. « Mens sana in corpore sano ».

IL EST TEMPS de donner à la culture, à l’art dans ses visages multiformes et polyvalents, la place qu’ils méritent. D’opter pour un urbanisme équilibré et non sauvage, fidèle au rôle qui est le sien : être le contenant de la vie en société. De privilégier la beauté sobre et efficace, jamais éphémère et fruit d’égoïstes calculs. Sans art, sans culture il n’y a pas d’avenir, il ne pourra pas y avoir de joie ni de sourires.

IL EST TEMPS de mieux utiliser nos moyens de communication qui ne peuvent et ne doivent pas nous diviser, mais au contraire unir les opposés. Nous sommes plus connectés que jamais et, paradoxalement, nous sommes éloignés à des années-lumière les uns des autres. Au point que tout peut se réduire, du moins pour beaucoup de gens, à concevoir la vie comme une relation virtuelle.
Nous devons tous avoir le courage d’éclairer notre information en nous demandant constamment si elle sert à unir le pays, la ville, le petit centre urbain, le quartier où nous habitons. De la réponse que nous donnerons à ce besoin dépendra la qualité de la communication vers le corps social.

IL EST TEMPS d’étudier plus et mieux. Et comme le virus nous a fait comprendre que les problèmes sont liés et que le multiple est aussi l’un, peut-être qu’est venu le temps d’une nouvelle science : celle de la connexion de tous les secteurs du savoir. Qu’il n’y a pas de philosophes d’un côté et de physiciens ou scientifiques de l’autre. Que l’ingénierie de l’atome va de pair avec la connaissance des systèmes philosophiques supérieurs. Que les disciplines doivent travailler ensemble parce que la vérité est « UNE » même si elle se décline en une multiplicité de facettes. Mais surtout ce nouveau monde requiert des hommes et des femmes aux grands cœurs pourvus non seulement de talent, mais aussi de dialogue et d’humilité.

Voilà, il est temps enfin d’aimer sérieusement ceux qui sont à nos côtés. De ne pas avoir le stress d’accumuler des richesses inutiles, mais de faire grandir nos jeunes pour qu’ils deviennent les adultes de demain et qu’ils sachent repeupler notre monde avec la seule force de l’affection, de la solidarité et de la fraternité. Une autre humanité est possible, libérée des mafias, des extrémismes, des égoïsmes, du racisme, des injustices, des discriminations, des inégalités. Aucun virus ne peut vaincre la fierté et le courage d’idéaux aussi grands.

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Rocco Femia, éditeur et journaliste, a fait des études de droit en Italie puis s’est installé en France où il vit depuis 30 ans.
En 2002 a fondé le magazine RADICI qui continue de diriger.
Il a à son actif plusieurs publications et de nombreuses collaborations avec des journaux italiens et français.
Livres écrits : A cœur ouvert (1994 Nouvelle Cité éditions) Cette Italie qui m'en chante (collectif - 2005 EDITALIE ) Au cœur des racines et des hommes (collectif - 2007 EDITALIE). ITALIENS 150 ans d'émigration en France et ailleurs - 2011 EDITALIE). ITALIENS, quand les émigrés c'était nous (collectif 2013 - Mediabook livre+CD).
Il est aussi producteur de nombreux spectacles de musiques et de théâtre.