Une fillette qui écrit pour dénoncer son calvaire, un sommet européen qui ne rassure personne, un groupe de terroristes islamistes présumés arrêté en Sardaigne et qui aurait lui-même organisé des traversées…
Le destin actuel des migrants en Méditerranée nous plonge en eaux troubles. Une seule certitude toutefois : ce naufrage est aussi le nôtre. Mais l’Europe sera-t-elle capable de garder le cap de l’humanisme tout en punissant les pirates de nos temps modernes ?

C’est une lettre rédigée, d’une écriture d’enfant, sur un cahier d’écolier. C’est le message d’une migrante de onze ans. Elle raconte avoir perdu sa sœur et son frère, ses meilleurs amis sont morts comme beaucoup d’autres personnes. Elle supplie ceux qui seraient tentés par le départ vers l’Italie de ne pas faire comme elle : « Frères et sœurs, stop, ne débarquez plus dans ces conditions ! » « J’ai vu beaucoup de choses que je ne peux raconter » se lamente-t-elle encore. « Ecrire, pour elle, c’est un peu se sauver » écrit Giusi Fasano dans le Corriere della Sera.

Pour ceux qui ne le sauraient encore, comprenez bien que c’est la misère ou la peur, parfois les deux, qui poussent ces exilés à venir s’échouer sur les côtes de notre continent. Parce que qu’est-ce, au fond, que faire la manche, dormir dans la rue avec femmes et enfants, ne pas manger à sa faim, quand là-bas, de l’autre côté, en Afrique, on ne sait même pas si on sera en vie le lendemain ? Parce que tel est bien le désespoir qui pousse ces êtres humains à se faire enfermer dans la cale d’un cercueil flottant pour cinq mille euros.

Quel est ce monde dans lequel nous vivons où un salopard peut racheter un cargo et se faire un substantiel bénéfice, grâce au prix de passage payé par des centaines de pauvres erres qu’il va abandonner en pleine mer, attendant que les gardes côtes stoppent ce bateau ivre ? Quand ces marchands de morts ou de rêve n’abandonnent pas leurs proies au cœur de la tourmente sur quelques embarcations gonflables en fin de vie. Et ce désormais, plusieurs fois par jour.

À l’instant où j’écris ces lignes de funestes équipages sont sans doute en train de prendre le large, cap sur Lampedusa, la Sicile ou la Calabre, là où les vents les porteront, et peu importe si la destination est atteinte. Le marché de la misère humaine ne s’est jamais aussi bien porté. Depuis janvier dernier, ces naufrages ont causé mille sept-cent morts.

Malgré ces drames, les voix du populisme et de l’extrême droite montent en Europe pour pointer des politiques trop laxistes en matière d’immigration. « Renvoyez-les chez eux ! » Parfois c’est le cas, souvent dans un pays de transit, Mali, Niger ou autre. Après avoir risqué sa vie pour traverser, le « chassé » se retrouve à mi-parcours sur une terre qui lui est inconnue et où il n’est évidemment pas le bienvenu.

Et pour aller un peu plus dans le sens de ceux qui crient au loup, une histoire surgit dans la presse : celle d’un groupe de terroristes islamistes présumés arrêté les 23 et 24 avril derniers. Ces hommes organisaient des traversées qui auraient également pu leur servir à passer en Europe. Des accusations certes solides et probablement fondées mais qui permettent aussi à certains de diaboliser plus que jamais les migrants africains afin d’exiger leur expulsion systématique.

« Et si des terroristes de Daech se mêlaient aux migrants venus d’Afrique pour débarquer sur les côtes européennes ? » s’interroge en France Le Journal du Dimanche. Le journaliste Arnaud Focraud rappelle en effet que Daech «  a promis de « marcher sur Rome » et « d’envoyer 500 000 migrants » par bateau si des forces étrangères posaient le pied en Lybie ». Cette option d’envoyer des troupes en Libye avait été évoquée par le ministre des affaires étrangères italien. Ce qui avait valu alors à un analyste de la vie politique de la botte la phrase suivante : « Si on s’engage maintenant, on va fédérer tout le monde contre nous ».

Alors cette menace d’infiltration terroriste, fantasme ou réalité ? Fantasme selon Patrick Haimzadech, ancien diplomate français basé à Tripoli de 2001 à 2004, cité dans le JDD. C’est toutefois vite oublié qu’ « il y a trois mois, près des côtes libyennes, des hommes armées de Kalachnikovs ont obligé des sauveteurs italiens à abandonner un canot rempli de ses passagers » rappelle Arnaud Focraud.

L’opération Triton menée par l’agence européenne Frontex a remplacé Mare Nostrum engagée par l’Italie, à la frontière des eaux internationales. Mais les gardes côtes de la Péninsule ont encore moins de moyens qu’auparavant. Alors à qui la faute soit pour venir en aide, soit pour mieux contrôler ? « L’Italie est devenue un pays de transit pour les migrants. Elle-même n’a pas respecté ses engagements européens en laissant passer les personnes sans les identifier » juge sévèrement le journaliste spécialiste de l’immigration Stefano Liberti.

Coïncidence de calendrier, le jour où le réseau terroriste cité précédemment était démantelé, un conseil européen extraordinaire se réunissait à Bruxelles. Il a triplé les moyens financiers alloués aux opérations de surveillance menées par Frontex, Triton (au large de l’Italie) et Poséidon (au large de la Grèce). Triton va ainsi voir passer son budget de 2,9 à 9 millions d’euros par mois soit l’équivalent des moyens mis en œuvre par l’Italie au moment de « Mare Nostrum ». Mais à Médiapart de rappeler qu’il s’agit là d’une « goutte d’eau au regard du budget de l’Union Européenne : 161,8 milliards d’euros » !

Mais comme l’a rappelé son directeur général Fabrice Leggeri, l’agence européenne de surveillance des frontières (Frontex) n’a pas pour mission de sauver des vies. D’ailleurs « « Triton » ne couvre pas les zones où ont lieu les naufrages » rappelle un responsable d’ONG toujours dans Médiapart. Et pourtant samedi dernier encore, un patrouilleur français sauvait 217 naufragés africains. Tout ceci nous ramène à ma question initiale : une fois ces naufragés sur les côtes européennes, sauvés par nos soins ou pas, que fait-on pour eux ?

À défaut de lutter efficacement contre ces pirates des temps modernes organisateurs pour certains d’un passage vers la liberté et pour d’autres d’une Méditerranée comme linceul, pouvons-nous au moins essayer d’accueillir dignement nos frères d’humanité ? Je sais que les chiffres ne plaisent pas à la Maire de Lampedusa que RADICI avait accueilli lors de son colloque « Les Ritals », elle préfère parler de l’humain. Mais qu’elle me permette ici d’en donner deux.

Que ceux qui en France pensent que nous croulons sous des nuées de réfugiés syriens par exemple, qu’ils sachent que l’Allemagne en a accueilli 41000 l’année dernière contre 3500 chez nous. Pour en revenir à cette fillette désespérée du début, faisons en sorte que les cahiers d’écoliers restent des supports d’apprentissage et non le moyen de jeter une bouteille à la mer.

Ils ont risqué leur vie pour venir nous rejoindre. Ils ont vécu l’enfer pour s’arracher à leurs racines et probablement ne plus jamais revoir leur pays. Donnons-leur un minimum d’entraide et de compassion comme si nous étions sur le même bateau.

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Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.