A l’occasion de la deuxième édition de son livre Mort aux Italiens, Enzo Barnabà (historien, écrivain et collaborateur habituel de RADICI), a décidé de nous accorder une interview.

L’ édition de votre livre qui vient de paraître chez RADICI est la dernière d’une longue série, n’est-ce pas ?
Oui, j’ai commencé à m’occuper du massacre en 1976 quand j’ai eu la chance de tomber sur le « dossier Aigues-Mortes » aux Archives départementales du Gard. Ses importants documents m’ont permis de reconstituer minute après minute ce qui s’est passé pendant ces terribles journées. (Le dossier a depuis disparu – envie d’occulter les faits? – mais j’ai pu mettre à la disposition des chercheurs les photocopies des documents les plus considérables, que j’ai données à la Médiathèque d’Aigues-Mortes). En 1993, lors du centenaire, j’ai publié, aussi bien en France qu’en Italie, le premier livre sur le sujet. De nouvelles éditions n’ont pas cessé de se suivre jusqu’à nos jours, à cause de l’intérêt manifesté par les lecteurs dans les deux pays et de la nécessité de faire connaître les nouveaux acquis historiographiques (la recherche, en effet, ne s’est jamais arrêtée).

Quelles sont les nouveautés de cette édition ?
Comme on le sait, le massacre est dû au mélange de trois composantes : xénophobie, politique étrangère,  organisation du travail. Il s’agissait de creuser et d’évaluer le poids de chaque élément. Si la fonction du dernier apparaît consolidée à cause du rôle joué par le travail à la tâche ou par les « bayles » (chefs d’équipe), celle du premier reste importante : on est en pleine campagne pour les législatives et, comme l’écrit Cesare Lombroso dans un journal de l’époque,« les piqûres d’épingle répétées continuellement par des politiciens aveugles finissent par engendrer des haines qui, pour être un produit artificiel, ne sont pas moins puissantes ».

Le fait d’être à cheval sur les deux cultures a-t-il joué un rôle dans votre recherche ?
Un rôle déterminant. Les sources pour reconstituer un événement capital dans l’histoire des relations entre l’Italie et la France se trouvent bien évidemment dans deux pays. Si je pense avoir pu mettre le mot de la fin sur le problème du nombre et de l’identité des victimes (auquel je consacre un nouveau chapitre), c’est parce qu’à côté des documents français j’ai pu consulter ceux qui se trouvent dans les différentes mairies d’où provenaient les morts et les blessés. De même, pour ce qui est de la tension entre les deux pays et du conflit à l’intérieur de la diplomatie italienne. Le fait de croiser les sources italiennes et françaises, me permet, entre autres, d’effectuer une reconstitution plus complète et crédible des « Vêpres marseillaises » qui en 1881 inaugurèrent la saison des affrontements xénophobes.

Le lecteur trouvera une polémique avec Gerard Noiriel, l’historien français qui s’est occupé du massacre.
Il ne s’agit pas de l’interprétation des faits qui se ressemble beaucoup : on est en face de victimes innocentes de la violence xénophobe. Il s’agit d’autre chose. Noiriel cite un document capital pour l’interprétation des comportements des protagonistes, mais dans son analyse il ne s’en sert pas. La raison est simple : ce document n’existe pas. La hâte joue de mauvais tours, parfois.

Quelles sont les analogies entre le passé et le présent ?
Le rôle de l’historien est de reconstituer les événements et de se pencher sur leurs causes et leurs effets. C’est au lecteur de comparer avec le présent. Souvent, mes lecteurs sont étonnés des analogies existantes entre les analyses et le vocabulaire des « patriotes » d’hier et d’aujourd’hui.

A côté de votre activité de chercheur il y a celle du « militant de la mémoire »
Je cherche à faire en sorte que dans les communes où les victimes sont nées le devoir de la mémoire ne soit pas un vain mot. Des plaques ont été posées à Centallo (lien), à Frassino (lien) à Tigliole (lien) et à Pignerol (lien); d’autres vont suivre. Pour ce qui est d’Aigues-Mortes, où rien ne rappelle la tuerie, le maire Pierre Maumejan a annoncé que l’année prochaine, lors du 125e anniversaire, deux plaques seront posées sur la place Saint Louis, une avec le nom des dix victimes et l’autre avec celui des « justes », c’est-à-dire des Aigues-Mortais qui par leur courage firent en sorte que le bilan ne soit pas plus lourd.
Je voudrais finir en mentionnant la page Facebook bilingue consacrée au massacre :

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Enzo Barnabà est né en 1944. Il a poursuivi des études de langue et littérature françaises à Naples et à Montpellier, et d’histoire à Venise et à Gênes. Il a enseigné le français et la littérature française dans différents lycées de la région de Venise et de Ligurie, et a travaillé en tant que lecteur d’italien au sein de l’université d’Aix-en-Provence. Il a également été enseignant-attaché culturel à Abidjan (Côte d’Ivoire), à Shkoder (Albanie) et à Niksic (Montenegro). Il vit aujourd’hui à Grimaldi di Ventimiglia où la Riviera italienne s'unit à la française. Pour Editalie en 2012 il a publié "Mort aux Italiens !", qui reconstitue le massacre d'Aigues-Mortes.
Autres livres par l'auteur: I Fasci siciliani a Valguarnera (Teti, 1981); Grammaire française à l’usage des Italiens (Loescher, 1994); Le ventre du Python (Éditions de l’Aube, 2007); un recueil de nouvelles,co-écrit avec Serge Latouche, Le crocodile du Bas-Congo et autres nouvelles (Aden, 2012).