Les maux obscurs comme la ‘Ndrangheta, organisation mafieuse originaire de la Calabre, peuvent être vaincus par des processus culturels profonds et articulés auxquels tout le monde doit contribuer. Et les femmes ont un rôle essentiel parce que ce sont elles qui, en Calabre, enseignent aux enfants comment se situer dans le monde. Interview de Fernando Muraca, réalisateur de La terra dei santi, film sorti en Italie en mars 2015 et adapté du roman Il Cielo a metà, de Monica Zappelli.

Loin d’être un film policier, en réalité, ce film est surtout un voyage au cœur des dynamiques familiales et culturelles de la ‘Ndrangheta. Comment est née cette idée de décrire au féminin un phénomène aussi complexe ?

Ce que fait la ‘Ndrangheta, nous le savons tous. Il suffit de lire les journaux et d’écouter les nouvelles. J’ai eu envie de tenter un cinéma qui fouille dans les viscères du présent et espéré, ainsi, deviner ce qui s’agite dans le ventre du monde. Il m’a semblé intéressant de raconter plutôt ce qu’est la ‘Ndrangheta, pourquoi elle est aussi forte, quelles sont ses racines anthropologiques… Le récit est fait par les femmes, parce que le point de vue féminin m’intéresse beaucoup et, en montrant une famille calabraise, il est impossible de faire autrement. Ce sont les femmes qui, par leurs attitudes et leurs comportements, en fonction de leurs désirs de vengeance ou de réconciliation, engendrent, orientent, sauvent ou détruisent les familles. En apparence, la Calabre est une société patriarcale, mais en vérité les femmes ont beaucoup plus de pouvoir qu’il n’y paraît. Les querelles les plus sanglantes commencent et finissent, le plus souvent, parce que les femmes le décident.

Paradoxalement, seules les femmes peuvent vaincre la ‘Ndrangheta.

Les maux obscurs comme la ‘Ndrangheta peuvent être vaincus par des processus culturels profonds et articulés auxquels tout le monde doit contribuer. Les femmes ont un rôle déterminant dans ces processus parce que ce sont elles qui, en Calabre, enseignent aux enfants comment se situer dans le monde. L’enfant se construit à partir des sentiments et des émotions que sa mère, surtout, lui transmet. Pour tuer, il faut étouffer ses émotions, l’idée de l’autre en tant que personne… Le pouvoir de la ‘Ndrangheta se transmet de père en fils, c’est comme une sorte de principauté familiale. Si les enfants ne sont pas formés selon les règles du pouvoir mais plutôt selon celles de l’amour, la chaîne de transmission de ce pouvoir se rompt et, avec elle, c’est la force caractéristique de la ‘Ndrangheta qui s’affaiblit.

À ce sujet, il y a un passage dans le film dans lequel la magistrate demande à l’épouse du chef mafieux : « Quel est votre rôle dans l’organisation ? » Elle obtient une réponse terrible : « Épouse ».

La scène que vous citez est l’un des moments, je crois, les plus réussis du film. C’est la seule fois que la protagoniste et la véritable antagoniste du récit se rencontrent. C’est une sorte de duel de western. Elles sont l’une en face de l’autre, et plus personne d’autre ne semble exister. Tout se focalise sur leurs regards et sur leurs paroles qui sont comme des lames affutées qui dépeignent des visions opposées de la vie et du monde, inconciliables. Il n’y a pas de dialogue. « Épouse, c’est beaucoup », dit Caterina, puis elle demande à la magistrate si elle est mariée et, sans attendre la réponse, elle lui dit, pour l’humilier, que ça se voit qu’elle n’est pas mariée. Dans une autre scène, Assunta, la sœur de Caterina avait demandé à la magistrate si elle avait des enfants. Vous savez pourquoi ?

Interview réalisée par Rocco Femia

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