Franco Antonello a traversé les Amériques avec Andréa, son fils autiste. Au bout des 38.000 kilomètres et 123 jours de périple, un livre poignant mais sans happy end : N’aie pas peur si je t’enlace . Aujourd’hui, Franco s’occupe à Castelfranco Veneto, en Italie, de l’association « Les Enfants des fées » pour aider d’autres familles à réaliser leurs rêves. A l’occasion de la sortie du film et du documentaire inspirés de ce livre, nous publions cet article rédigé au moment de la parution de l’ouvrage.

« Nous ne comprenons pas la différence, nous ne préférons pas la voir. Nous ne sommes pas prêt ». Voilà ce que répond Franco Antonello quand on lui demande comment est perçu l’autisme et le handicap de manière plus générale, en Italie. Ne pensons pas pour autant que la France est beaucoup plus avancée sur la question…

Très tôt Franco s’est battu pour que son fils, Andrea, ne reste pas reclus à la maison mais au contraire puisse s’ouvrir au monde. « Un tyran fragile qui a tant besoin de liberté. C’est pourquoi nous le laissons aller seul à l’école. Ce sont ses vingt minutes d’oxygène, dix à l’aller, dix au retour. Vous n’avez pas peur ? nous demande-t-on. Si bien sûr. Tous les jours » raconte-t-il dans le livre.

« Maintenant il va falloir qu’on se perde »

« Nous sommes toujours en voyage, même quand nous attendons qu’Andréa rentre de l’école ou que nous le poursuivons parmi la foule. Le moment est venu de prendre le large. Maintenant il va falloir qu’on se perde ».

« Impossible de passer inaperçu » avec un tel compagnon de voyage et pourtant si les paysages vont changer, de Monument Valley à la forêt amazonienne, les mentalités aussi. Illustration lorsque Franco discute avec Odisseu, un pêcheur brésilien dont il va se faire un ami :

-Andrea peut venir à la fête dans deux jours. Les jeunes se réunissent au bord de la mer.
-Je ne sais pas trop, dis-je
-Pourquoi le gamin a un problème ?
-J’écarquille les yeux, se moque-t-il de moi.
-Tu plaisantes ? C’est un garçon autiste !
– Ah, tu m’as fait peur, un instant j’ai cru qu’il avait une maladie.

« L’attitude envers le handicap est une véritable jauge de notre civilisation » commente Fulvio Ervas. C’est ce prof de lycée de Trévise qui a écrit le livre, « le chromosome de ce projet narratif » comme il aime malicieusement à se décrire. Ervas pense que le combat de Franco Antonello pour la liberté de son fils a touché le public.

Une histoire qui fait le tour du monde

Plus de 200 000 exemplaires du livre ont été vendus en Italie, l’ouvrage est traduit dans huit pays (et les droits rachetés ont donné aujourd’hui un film et un documentaire). Comment évidemment ne pas penser au succès mondial de « Rain Man » ? (A noter que Valeria Golino a joué dans les deux films.)

Fulvio Ervas insiste : dans son livre, il n’a pas voulu tomber dans « l’émotion facile » ou les « grands mots », c’est « l’empathie » pour ces personnages qui l’a guidée. « Je pense qu’avec ce voyage, nous avons finalement réussi à parler des 400 000 enfants qui sont dans le silence et qui vivent dans un monde où toutes les portes sont closes ».

Voyage physique mais voyage intérieur également. Au fil des kilomètres nos deux héros s’éloignent de chez eux mais se rapprochent entre eux. « C’est venu comme ça, je lui parle de la sexualité, comme si elle faisait partie du paysage. Oh regarde Andrea, un cactus, un lac, une rafale de vent ! Je lui parle de la masturbation, des femmes, de l’amour. Je lui parle sans savoir quelles questions il se pose ». Franco Antonello n’a pas de conseils à donner aux parents d’enfants autistes.

« Tous les visages souriants sont les bienvenus »

« Pas besoin forcément de partir faire le tour du monde. Souvent ces enfants sont cachés, loin de toutes relations sociales. Un rien peut les rendre heureux : un concert, une sortie au cinéma ». Et Andrea, lui, qu’en pense-t-il ? « Tous les visages souriants sont les bienvenus » répond-il sur le clavier d’ordinateur qu’il préfère parfois à la parole. Comment imaginer que ce beau garçon, grand et fort, n’aime pas le contact ? Pour jauger une personne, il l’enlace (d’où le titre de l’ouvrage).

Raconter une belle histoire ne veut pas forcément dire tomber dans l’angélisme. Pour Franco Antonello, à la fin de l’ouvrage, « une chose est sûre : la mère d’Andrea et moi, un jour, nous ne serons plus là. En conséquence de quoi, Andrea restera seul une trentaine d’années au moins. Sur cette terre. Dans sa tribu indienne, sa réserve. Sain, robuste et beau comme je le vois, j’imagine qu’il vivra sans problème jusqu’à cent ans ».

Pour pouvoir dire ça, il faut effectivement avoir parcouru un sacré chemin…


« Naie pas peur si je t’enlace », Fulvio Ervas, ed Liana Lévi.
« Tutto il mio folle amore » film de Garbiele Salvatores avec Claudio Santamaria, Giulio Pranno et Valeria Golino
« Se ti abbraccio, non aver paura », documentaire de Niccolo Maria Pagani, Ushuaia Film

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Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.