Retour et réflexion sur le drame du 22 janvier dernier qui a vu un jeune réfugié gambien se suicider en se jetant dans le canal à Venise devant une foule aux réactions controversées mais impuissante.

L’autre jour, un ami me racontait qu’il était passé sur un pont de Paris, la nuit, qu’il avait été surpris par le calme environnant et le fait de se retrouver seul à cet endroit. Il s’arrête alors et observe les consignes de sécurité inscrites sur la rambarde. Elles lui disent que si un homme se jette à l’eau, il doit briser la vitre, lui jeter une bouée et surtout composer le numéro de téléphone d’urgence affiché.

-Mais est-ce que j’aurais sauté pour l’aider ? me demande-t-il soudain. Je ne suis pas un excellent nageur et, de la hauteur du pont, avec le courant, quelles chances aurais-je eu de le rattraper ?-

Je ne sais trop que lui dire et tente cette réponse :

-Si tu avais sauté, tu serais sans doute mort. Moi aussi d’ailleurs. Donc la question n’est pas forcément de savoir s’il fallait sauter mais est-ce qu’on aurait fait le maximum pour le sauver-

A quel moment, un homme peut vivre tranquille avec sa conscience, « se regarder dans un miroir » comme on dit. Aurais-je sauté dans l’eau glacée du grand canal ce dimanche 22 janvier sous les yeux de mes proches horrifiés ? Honnêtement, je ne sais pas. Est-ce que cela aurait permis de sauver cet homme désespéré qui y avait plongé ? Je ne le sais pas plus. Il ne s’agit pas ici de faire la morale à qui que ce soit, de s’ériger en exemple ou pas ou encore d’apporter des réponses toutes faites. Il faut à présent se poser et réfléchir.

Que nous révèle sur notre société ce drame survenu dans la Sérénissime (qui ne l’est plus depuis longtemps) ? Tout d’abord, il nous raconte l’histoire d’un homme arraché à son pays d’origine, à son continent africain, venu chercher refuge chez nous, en Europe, et tellement désespéré par l’accueil qu’on lui a réservé qu’il a préféré en finir. Ensuite, il nous démontre qu’aujourd’hui, en 2017, vous pouvez encore mourir sous les yeux de centaines de témoins sans que véritablement personne n’ait, à défaut de vous sauver, efficacement agi pour vous.

Mais, le pire restant à venir, au-delà de l’indifférence ou de l’impuissance de cette foule, vient se rajouter la cruauté : celle des rires à l’encontre du malheureux, celle des quolibets même qui sont hurlés à son encontre. Mort de tristesse, les derniers mots qu’il aura peut-être entendus avant de quitter ce monde auront été des insultes. « Cela fait réfléchir. Ce n’est pas un naufrage en mer, mais une mort dans un canal, en face de centaines de personnes » écrit sur sa page Facebook Francesa Zaccariotto, chargée des travaux publics à Venise.

Une enquête a été ouverte par le procureur de la cité des doges. Il dispose de plusieurs vidéos amateur et d’une autre filmée par le réseau municipal. Selon diverses sources, certains de ses documents montrent des personnes très affectées demandant qu’on jette des gilets de sauvetage à la victime, d’autre en train de parlementer pour savoir s’il faut sauter à l’eau ou pas, mesurant le risque de noyade collective, et des dernières enfin s’exclamant : « Il est bête ou quoi ? Il veut mourir. »

Au final, le jeune africain coulera dans une eau à 5 degrés et son corps sera emporté par les courants. « Je ne veux pas accuser qui que ce soit, mais peut-être que quelque chose aurait pu être fait pour le sauver » a déclaré Dino Basso, le directeur local de la société nationale de sauvetage au « Corriere del Veneto ». Le drame est loin d’avoir fait la Une des grands médias, en Italie comme ailleurs. Un rassemblement devait être organisé le 27 janvier dernier Piazzale Stazione Santa Lucia. Là aussi, très peu d’écho sur l’ampleur de la mobilisation.

Pateh Sabally avait 22 ans. Il a quitté la Gambie pour rejoindre l’Italie et bénéficiait d’un titre de réfugié pour une durée de deux ans. Ce dimanche 22 janvier, il arrivait de Milan. Je connaît bien le trajet qu’il a dû effectuer avant d’atteindre Venise, je l’ai emprunté cet été. Dans toutes les gares de ce parcours, on peut effectivement apercevoir de nombreux migrants, seuls ou en famille, de passage ou en séjours plus ou moins longs. Qu’est-ce que Pateh Sabally était allé chercher à Venise ce jour-là ? La beauté du lieu ou au contraire sa foule pour que son acte ait un retentissement planétaire ? Nous n’en saurons jamais rien…

Venise, ville-refuge

Le site d’expertise universitaire « The conversation » revient sur ce drame en rappelant la vocation de ville-refuge qui, ces dernières années, a notamment été revendiquée par la cité des doges et légitimée par son histoire.

Suite au conflit des Balkans, environ 500 personnes venues d’Ex-Yougoslavie s’installent sur le territoire vénitien au début des années 90. La mairie organise alors des assemblées citoyennes pour discuter des modalités de leur accueil. « L’objectif était celui de l’insertion de ces personnes dans le tissu social » explique Beppe Caccia, l’adjoint aux politiques sociales de l’époque.

Ainsi, à travers la scolarisation, l’insertion professionnelle et un soutien au logement, la plupart des hébergés en centre de premier accueil sont progressivement installées sur le territoire explique dans son article Filippo Furi. L’universitaire de Montréal rappelle aussi qu’ « en 2001, Venise mit en place le projet Fontego : trois centres d’accueil, avec une capacité d’environ 110 personnes ouvrent sur le territoire de la Sérénissime ».

Mais après la crise, à partir de 2010, les budgets manquent dans les villes italiennes comme ailleurs, et le dispositif vénitien s’en ressent. Le coup de grâce survient en 2015 avec un changement de municipalité et un nouveau maire qui dit « stop aux migrants ». Malgré tout le projet Fontego subsiste. Il faut dire comme le décrit l’article de « The Conversation » que la création des Fonteghi remonte au XIIIème siècle sur la lagune. Il s’agissait alors de « résidence temporaire destinés aux étrangers, en particulier commerçants dont le séjour était réglementé par la Serenissima ».

Pour aller plus loin : « Migrants : Venise ou l’expérimentation de la ville-refuge » par Filippo Furri, The Conversation.

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Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.