Il faut souvent savoir ouvrir les débats, et nous le faisons volontiers ici. Mais il faut aussi savoir parfois avouer qu’ils n’ont rien fait avancer. Ainsi, en cette fin d’été, alors que le Covid sert toujours d’alibi à de nombreux échecs sociétaux, la problématique de l’accueil des migrants revient sur le devant de la scène, plus dramatique que jamais.

Vous souvenez-vous de ce numéro exceptionnel que vous proposait « Radici » voilà deux ans. Il consacrait un cahier spécial aux défenseurs de l’accueil, ceux qui ouvraient leurs bras aux autres, étrangers, migrants, exilés, partis de chez eux, malgré eux, et tentant par tous les moyens de rejoindre l’Europe.

Parmi ces militants, j’étais allé interviewé Cédric Herrou, dans la vallée de la Roya à la frontière franco-italienne. Il avait rendu possible, là-bas, la demande d’asile de centaines de ces damnés de la terre que les médias nous montraient sur leurs canots pneumatiques en pleine Méditerranée ou bien en interminables cortèges à la frontière hongroise le long de fils barbelés infranchissables.

Diagonale continentale

Désormais, il n’y a plus de gendarmes mobiles en bas de chez Cédric Herrou pour le surveiller. Je suis retourné le voir cet été. Mais sur l’autoroute qui mène de la France à l’Italie, il y a toujours inscrit sur les panneaux d’information de faire attention aux piétons que l’on pourrait croiser dans les tunnels. A Vintimille, vous apercevez forcément des groupes de jeunes érythréens ou soudanais errant dans les rues ou faisant sécher leur linge au bord du fleuve, alors qu’à quelques mètres des touristes s’ébrouent sur la plage.

Italie-France, d’une plage à l’autre, à l’extrémité de la diagonale continentale de nos deux pays, en Normandie se trouve un autre point de transit : Ouistreham. Je le connais bien. Ma belle-famille habite non loin de là. Là-bas non plus la situation n’a pas changé. Cet été l’Angleterre, et ses dirigeants encore empourprés et enorgueillis de leur Brexit ont même accusé Paris de favoriser le passage d’étrangers vers leurs côtes.

« Jusqu’à quel niveau de violence et de renoncement peut-on aller ? »

Et la bataille des chiffres reprend. Avec elle, les discours populistes parlant d’« invasion », de « vagues migratoires ». Matteo Salvini devra répondre de son refus d’offrir un port d’accueil à un bateau qui avait repêché 80 migrants en pleine mer alors qu’il était Ministre de l’Intérieur. Mais actuellement, à nouveau, les pays ferment leurs ports. Le maire de Lampedusa lui-même ne veut plus de migrants et a même menacé de mettre son île en « grève générale » s’il ne recevait pas l’appui de Rome.

Non la situation ne va pas mieux. Il y a trois ans les images du petit Alan (et non Aylan) retrouvé morts sur une plage turque avaient ému le monde entier. « A cette époque, on nomme encore les morts » fait remarquer dans « Society » la géographe Camille Schmoll (Auteur de « Les damnées de la mer : femmes et frontières en Méditerranée » (La Découverte). « Aujourd’hui, qui s’en soucie ? Fondamentalement, on a une dépersonnalisation du sujet ». Et l’universitaire de terminer son interview en assénant : « C’est une défaite énorme du point de vue des droits humains. La question est de savoir jusqu’à quel niveau de violence et de renoncement on peut aller ».

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Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.