Il ne se relate pas grands choses de bon sur l’Italie en ce moment.
C’est peu de le dire. « Ah oui, c’est vrai qu’ils sont dirigés par des extrémistes maintenant… » Voilà ce que je passe mon temps à entendre. Qu’y répondre sinon que c’est vrai. Ne revenons pas sur ce qui a conduit à la tête de l’Etat le parti qualifié par beaucoup de xénophobe, « la Lega ». D’autres le feront mieux que moi. Le fait est qu’avec une coalition de centre-droit, notamment aux côtés de Berlusconi, l’ancienne Ligue du Nord a réussi à l’emporter et même à faire voter pour elle le sud du pays qu’elle méprise. Le fait est que, même Ministre de l’Intérieur et non Président du Conseil comme on pourrait le croire, Matteo Salvini dirige le pays.

Abus de pouvoir et arrogance

Les 140 migrants descendent du navire garde-côtes “Diciotti”

Le Lombard a même réussi à se faire poursuivre pour « abus de pouvoir et séquestrations de personnes » par le parquet de Palerme. Qu’est-ce qui lui a valu cet honneur ? Celui qui a décidé de fermer les ports et les frontières de la botte a refusé le débarquement de 140 migrants secourus par des garde-côtes italiens dans la nuit du 15 au 16 août dernier. Et qu’a-t-il trouvé d’intelligent à répondre à cette mise en cause ? « Un organe de l’Etat enquête sur un autre organe de l’Etat. Avec la toute petite différence que vous avez élu cet organe de l’Etat ». L’arrogance est à la mode chez les hommes politiques et pas que de ce côté de la frontière.

Oui, vous avez été élu Monsieur Salvini. La preuve que le peuple n’a pas toujours raison. Vous affirmez vos opinions et pour cela n’hésitez pas à rompre avec vos anciens alliés. Ainsi, c’est par la voix d’un Premier Ministre hongrois que vous faites passer le message. « Il y a actuellement deux camps en Europe. Macron est à la tête des forces politiques soutenant l’immigration. De l’autre côté, il y a nous qui voulons arrêter l’immigration illégale » a déclaré Victor Orban alors que vous étiez tout sourire à ses côtés.

Séparer et faire s’affronter les peuples

Séparer, cliver, un mode opératoire qui nous rappelle de sombres périodes. Mais pourquoi choisir un camp ? Avec de tels propos, Monsieur Salvini, vous ne me ferez pas sentir plus français et moins italien, sachez-le. Simplement, espérez-vous que ce discours portera une nouvelle fois auprès des citoyens qui voteront pour les élections européennes. Et peut-être pourrez-vous encore bomber le torse en affirmant que ce que vous décidez c’est ce pour quoi on vous a élu. Mais vous n’aurez pas plus raison pour cela.

Aviez-vous raison, par exemple, de faire la fête à Messine avec des responsables de votre parti le soir où les secours cherchaient encore des corps dans les décombres du viaduc de Gênes ? Chacun ses priorités, n’est-ce pas ? Est-ce la place d’un Ministre de l’Intérieur que de festoyer à l’autre bout du pays avec ses acolytes, alors qu’une catastrophe vient de tuer quarante-trois personnes…

Pour revenir au dramatique écroulement du viaduc de Gênes, voilà aussi que surgit à nouveau l’opprobre sur une Italie qui serait sous-équipée et dont les marchés publics seraient grêlés de malfaçons et de corruption. La presse française a pourtant immédiatement enchaîné avec des articles sur nos propres ponts ou ouvrages publics routiers en souffrance, histoire de rappeler que personne n’était à l’abri.

Parler à l’opinion publique

Décidemment, l’Italie que j’aime va devoir attendre des jours meilleurs pour faire parler d’elle. Mais avant cela, elle devra sans doute régler ce mal qui la ronge. Ne nous trompons pas de cible ou plus exactement ne ramenons pas tout à Salvini et sa bande. Ils ont été élus certes mais sur un système électoral très fragile qui pourrait, pourquoi pas, les voir exploser en vol très prochainement. Ils ont été élus aussi grâce à un manque criant d’adversaires valables. Passons rapidement sur les « Cinq Etoiles », prêts à tout donc pour être au pouvoir, y compris s’associer avec ceux qu’ils n’ont cessé de critiquer. La droite traditionnelle, comme son ancien leader Berlusconi s’éteint à petit feu. La gauche continue de traîner son lot de casseroles et n’est plus audible, qu’elle soit sociale-démocrate ou autre.

L’opinion publique n’a d’autre alternative pour le moment que d’être abreuvée des discours caricaturaux et simplistes de la Ligue. Face à cela, rien d’autre. Et pourtant ces discours protectionnistes, sans aucune ambition réelle pour le pays, si ce n’est de se refermer sur lui-même, passent de plus en plus mal, à l’étranger notamment. En atteste cette algarade entre un Ministre Luxembourgeois et Salvini vendredi à Vienne. Il faut dire que les propos du ministre de l’Intérieur italien avaient de quoi faire bondir.

Se souvenir d’où l’on vient

L’échange entre Matteo Salvini et le ministre luxembourgeois Asselborn

« Si au Luxembourg vous avez besoin d’une nouvelle immigration, moi je préfère garder l’Italie pour les Italiens et recommencer à faire des enfants » assène-t-il à l’assemblée de Ministres de l’Intérieur européens. Et Jean Asselborn, son collègue luxembourgeois, de lui rétorquer : « Au Luxembourg, cher Monsieur, on avait des dizaines de milliers d’Italiens ! Ils sont venus comme migrants, ils ont travaillé au Luxembourg, pour que vous en Italie vous ayez l’argent pour vos enfants, merde alors ! »

C’est peut-être de cela que devraient se rappeler les électeurs italiens notamment lors des prochaines élections européennes. Mais peut-être pas seulement les électeurs italiens, ceux de tout notre continent d’ailleurs. Sans vouloir vivre en permanence dans le passé, le rappel par chacun de ses origines, peut permettre de combattre pas mal d’idées nauséabondes. Et pourquoi pas dégager du pouvoir ceux qui ne sont que fermeture et mépris de l’autre. Ainsi peut-être reviendront les jours meilleurs que j’espère pour l’Italie et pour l’Europe dans son ensemble.

Pour aller plus loin : le dossier « Immigration » dans le prochain numéro de RADICI avec les contributions de Roberto Saviano, Furio Colombo, Michela Murgia, Enrico Fierro, Roberta Carlini, Giacomo Russo Spena, Rocco Femia et votre serviteur.

Plus de publications

Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.