Que feriez-vous si vous étiez à la barre d’un navire depuis dix-sept jours en mer et 60 heures à l’entrée d’un port, que vos passagers de fortune, des migrants recueillis alors qu’ils étaient en danger de mort, menacent de se suicider et que les autorités maritimes vous refusent l’entrée ?
Carole Rackete aux commandes du « Sea Watch 3 », a choisi de forcer le passage, et son destin. Elle est devenue en quelques heures l’icône de l’accueil et de la solidarité qui manquait pour marquer l’opinion publique face à la politique ultra-répressive de Matteo Salvini.
Seulement si la presse européenne semble aujourd’hui l’encenser, elle est aussi sortie de son bateau, menottée, sous les lazzis et les quolibets haineux, et pas seulement sous les acclamations. Voilà où en est l’Italie aujourd’hui. Une population divisée où certains voient un acte héroïque là où d’autres dénoncent une honte. Seulement que retiennent ses voisins européens de cette scène ? Sûrement pas les « hourrah » de soutiens. L’Italie est bel et bien en train de devenir un épouvantail pour toutes les belles âmes du continent. Des belles âmes qui, elles aussi, ont parfois le jugement un peu trop facile.

Cet épouvantail les effraient parce qu’ils ne voudraient pas que leur pays, Angleterre, France, Allemagne ou encore Espagne, devienne ce qu’est aujourd’hui la péninsule : une nation divisée et dirigée par un parti xénophobe et sécessionniste. Alors, ils brandissent les anathèmes, condamnent une population pourtant prise en étau et qu’ils ne connaissent pas, si ce n’est lors de leurs brèves vacances en Toscanes ou sur la côte amalfitaine.
L’Italie est bien plus complexe que cela. Les sentiments de ses ressortissants également. Une cagnotte recueille en quelques heures 400 000 euros pour la capitaine au grand cœur mais d’un autre côté « il capitano » surnom de Salvini voit sa côte de popularité monter en flèche. Oui, l’Italie, c’est aujourd’hui ce contraste, ce paradoxe et cet interdit. Comme celui qui vous anime quand vous ne préférez plus parler politique avec telle ou telle connaissance, voisin de comptoir, de place dans le train ou collègue de bureau parce qu’un fossé vous sépare désormais en la matière.
Et pourtant comment ne pas essayer de les convaincre ? Tout simplement en leur rappelant que leurs parents ou leurs grands-parents ont peut-être également été accueillis un jour. Les italiens le savent bien, eux qui ont quitté par millions leur pays pour fuir la misère et se sont ainsi exilés aux quatre coins du monde. Aujourd’hui la mémoire fait défaut à certains, mais de là à les juger tous coupables…

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Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.