Aller au stade, en Italie, revêt un caractère quasi religieux voire mystique. Réminiscence des jeux du cirque antiques ou sentiment d’appartenance à une cause et à une famille, les émotions y sont multiples. Rentrons dans l’arène.

Voilà plusieurs années que mon fils et moi faisons, dès que nous en avons l’occasion, le tour des stades européens. En ce mois de novembre, l’affiche est trop belle pour la rater : AS Roma-Napoli. Une sorte d’excitation s’empare de nous à l’idée de participer à la fête. Les napolitains affichent une belle quatrième place au classement de la Série A juste devant…les romains. L’enjeu est donc de taille, la bataille pour l’honneur aussi.

L’une des boutiques des Giallorossi (les jaunes et rouges, de la couleur du maillot de l’AS Roma) est juste en dessous de l’appartement que nous louons. Nous nous empressons d’y aller y réserver deux billets.

-On n’est pas avec les ultras, là ?
-Non, me rassure le vendeur. Eux ils sont ici (il me montre l’autre « curva », virage, ainsi que les places derrière les buts), ne vous inquiétez pas.

Il faut dire que je ne voudrais pas être trahi par mes origines napolitaines. Comme si ça pouvait se lire sur mon visage…
Quelques minutes plus tard, nous voilà munis des précieux sésames achetés, pour la somme rondelette de 50 euros chacun. Cela nous fera un beau cadeau pour nos anniversaires respectifs à mon fils et moi, tous deux créatures de novembre. Nino est fou de joie, quant à moi, je suis, sans le lui montrer, un brin tendu. J’avais, quelques années auparavant, hésité à aller assister à un derby romain (Roma/Lazio). Bien m’en avait pris (voir chronique précédente). Mais le vendeur nous a rassuré, arguant d’une ambiance très familiale dans le Stadio Olimpico.

Le jour J, alors que les filles ont opté pour le parc zoologique de la villa Borghese, nous trainons, Nino et moi, dans les rues du centre-ville. Les écharpes sont déjà de sortie et les supporters semblent effectivement souvent venus en famille, d’autant plus en ce pont de la Toussaint. Le long de la Via Del Corso, des petites échoppes mobiles se sont installées pour vendre des places de dernière minute pour le match. Il en reste encore ? Même au pays du calcio, les stades ont du mal à se remplir. Celui de l’AS Roma affiche pas moins de 72698 places.

Via di Ripetta, nous entrons dans une boutique que je voulais montrer à mon footballeur de fils. Elle remet au goût du jour, et vend une petite fortune, des maillots des équipes de légendes des années 30 à nos jours. La Squadra Azzurra nationale, la Juve, évidemment, mais aussi les grands Milan AC et Inter d’autrefois y figurent en bonne place. En photo : Gianni Rivera, Dino Zoff, Giampiero Boniperti, Giuseppe Meazza, Paolo Maldini, Roberto Baggio, Franco Baresi, Gianluigi Buffon… Mais je pourrais en citer une bonne centaine, sans compter les joueurs étrangers qui ont construit leur icône dans la Péninsule. Mais allons voir ce que valent ceux d’aujourd’hui. 

Les supporters de l’AS Roma sont réputés comme étant plus bourgeois que ceux du rival détesté « La Lazio ». Les couleurs jaunes et rouges, flottent déjà dans le tramway qui nous conduit au stade. Arrivés aux abords de l’enceinte, l’ambiance est effectivement bon enfant, la bière coule à flot mais sans débordement. Nous voici dans les faubourgs de la capitale, les grandes artères circulantes y sont légion et l’attente aux feux plus que longue. La voiture a encore de beaux jours devant elle dans les métropoles italiennes. Au loin trône le grand colosse qui va abriter la rencontre. A l’image de nombreux bâtiments publics du pays, et malgré ses liftings successifs depuis les JO de 1960, notamment pour la finale de la coupe du monde 90 et la finale de la Ligue des Champions 2009, il revêt un caractère un peu décrépi mais qui le rend aussi, en quelque sorte, sans prétention et chaleureux.

 

A peine assis, nous voilà plongés dans une ambiance particulière. Remplie au tiers, l’enceinte résonne pourtant comme un vrai cœur. L’hymne du club y est scandé à gorges déployées sur une bande musicale un peu éculée. Les gens sourient, heureux de se retrouver dans leur grande famille du samedi. Puis c’est l’entrée des joueurs de Naples, copieusement sifflés. Une autre chanson leur a été réservée : celle qui les traitent depuis des décennies de « culs terreux » et de miséreux. Curieux de se faire ainsi invectiver pour des joueurs qui brassent des millions.

En seconde période, les chants d’insultes prennent toutefois un peu trop d’ampleur, à tel point que l’arbitre interrompt le match. Le capitaine de la Roma, Edin Dzeko, s’en va dire à ses supporters d’encourager leur club plutôt que d’insulter l’adversaire. Il est applaudi. Le match reprend, les chants anti-napolitains aussi. La presse se fera plus tard l’écho d’insultes qu’aurait essuyé Kalidou Koulibaly. Dans tout le pays, le défenseur du Napoli est devenu le symbole du joueur noir couvert d’insanités par un public italien de plus en plus pointé du doigt pour racisme et xénophobie, dans l’élan de la montée de la Ligue de Salvini.

Dans ce cadre contraint, les Napolitains n’ont pas démérité mais s’inclinent 2-1. Le stade est en liesse. Devant nous, un homme, fou de joie, tape dans les mains de tous ceux qui l’entourent. Le peuple des tifosi Giallorossi a communié deux fois quarante-cinq minutes même si sa partition musicale n’a pas été parfaite. Et elle va se poursuivre dans le tram du retour en centre-ville. Les supporters de la Roma y entonnent alors un chant à l’adresse de l’ennemi de la Lazio où il est notamment affirmé que le rival local n’est qu’un club de racistes. Un partout balle au centre ?

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Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.