Il n’y aura plus de dernier Eco. Le Numéro Zéro  n’était en fait que l’ultime. Encore un pied de nez de cet amoureux des mots et de leur jeu ? Qu’il est difficile d’imaginer que plus rien ne viendra à nous de cet auteur à la fois prolifique et totalement ancré dans notre temps. Comme le dit Laurent Binet qui en fit un de ses personnages dans un roman, il était « tout le contraire de ces antimodernes pour qui c’est soit Bossuet soit internet » (Journal du Dimanche, 21/02/2016).

D’ailleurs toujours ce week-end, il était aussi cité dans l’émission « Soft Power » de France Culture qui traite de l’actualité de la toile mais aussi de toutes les formes modernes d’écriture et de communication. Cela me fait sourire. Parce que je le revois encore dans une émission littéraire construite sur le thème de l’écriture, raconter comment il avait perdu un de ses manuscrit avalé par un ordinateur qui avait rendu son dernier souffle, terrassant là une nouvelle œuvre du maestro. « Elle est toujours à la cave cette maudite machine» avait soupiré Eco en plateau.

Par la plume ou par le clavier, l’écriture et le papier avaient enrobé sa vie. A tel point que son dernier combat avait été mené pour sauver sa maison d’édition historique, Bompiani. Il ne voulait pas, comme beaucoup d’autres auteurs italiens, qu’elle soit rachetée par la très monopolistique Mondadori, propriété de la famille Berlusconi. Alors il avait fondé avec d’autres résistants « La nave di Teseo », le bateau de Thésée, sorte d’arche de Noé pour écrivains indépendants et libres, comme lui.

Ses livres justement, parlons-en. Je ne reviendrai pas sur Le Nom de la Rose. D’autres plumes, bien plus alertes et cultivées que la mienne en ont analysé les contours et les qualités, pétale par pétale. C’est une autre œuvre qui remue mes souvenirs : Le pendule de Foucault. Je revois encore la couverture de la version Poche que je m’étais procuré. Je devais avoir 18 ans, guère plus, et me suis retrouvé face à ses pages, denses, interrogatives pour un bien piètre élève en sciences comme moi, qui plus est doté d’une culture générale plus que légère et connaissant à peine la définition du mot « ésotérisme ».

Et pourtant Eco m’embarqua avec son histoire, flirtant entre réalité et fiction, remettant en cause en permanence la théorie que venait d’exposer le narrateur : un vrai labyrinthe de lecture où l’on adorait se perdre. Evidemment quand on parle d’Eco, on ne peut aussi que rendre hommage à son fidèle traducteur Jean-Noël Schifano. 17 millions d’exemplaires vendus plus tard, il ne nous reste plus qu’à nous replonger dans cette œuvre monumentale.

Enfin, je n’oublierai pas non plus le journaliste, éditorialiste et expert que j’aimais à retrouver notamment chaque semaine dans l’Espresso. Sa collaboration à de multiples quotidiens transalpins contribuait aussi à redorer le blason de la presse et à renforcer sa vocation de diffuseuse de savoir, au delà d’une information souvent trop terre à terre ou désespérante.

Article ou livre, il n’y aura donc plus de dernier Eco mais il nous en restera des milliers d’échos qui virevolteront comme autant de pages, comme autant de neurones qui s’activeront dans nos cerveaux, comme autant de palpitations de nos cœurs accrochés par un récit, une phrase, une réflexion, un dialogue.

Ciao Professore Eco, nous n’oublierons pas votre devise : Docere, Placere (instruire et plaire).

Plus de publications

Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.