Des vices, encore des vices ! Beaucoup trop, au point d’engendrer toujours plus de scandales, et des vertus qui, désormais, ne font plus le poids sur la balance de la vérité. Après les récents scandales, il est de plus en plus manifeste que le problème n’est pas l’Église en tant que peuple de croyants, mais bien la hiérarchie vaticane et ce qu’il se passe en son sein. Ces derniers scandales mettent en évidence une hiérarchie malade de protagonisme, obnubilée par le pouvoir et où seule la gloria mundi compte réellement. En admettant qu’il existe une certaine presse prête à dégainer son couteau pour causer du tort à l’Église, pourquoi donc le scandale devrait-il résider dans le fait que des documents ultrasecrets aient « malencontreusement » filtré du Vatican, plutôt que dans le contenu même de ces documents ? Pourquoi donc lorsque quelqu’un désigne la lune, comme l’a fait récemment Gianluigi Nuzzi dans son livre intitulé Sua Santità (publié aux éditions Chiarelettere) et avant lui le quotidien italien Il Fatto Quotidiano, y a-t-il toujours un idiot pour regarder le doigt, même s’il est vrai que, désormais, le doigt désigne plutôt le fond du puits que la lune ?
Je crains fort, malheureusement, que l’administration de l’Église ait commencé à se fissurer il y a bien longtemps déjà, et que cela constitue le premier facteur expliquant la décision de nombreux croyants de quitter l’institution. Face à cet énième scandale montrant des prélats s’opposer à d’autres prélats dans le but d’obtenir des postes de pouvoir, les croyants n’attendent plus des exercices rhétoriques, ni des cabrioles sémantiques, fussent-ils imprégnés de la théologie la plus élevée. Ils ne demandent pas non plus de cérémonial liturgique pour calmer les foules. Ils exigent, sans plus tarder, des réformes drastiques concernant l’administration du Saint-Siège et des réformes à la hauteur du défi que l’actualité impose. Des gestes irréfutables qui disent clairement la vérité, même si cela peut faire mal. Le peuple des croyants est, de loin, plus mûr que cette hiérarchie et il ne comprendrait plus des choix qui ne tranchent pas. Tout le reste n’est que superflu, « comme un cuivre qui résonne, ou une cymbale retentissante… », comme le dit Saint Paul. Aujourd’hui, au Vatican, le bruit des cymbales est assourdissant et navrant.
À l’intérieur de ce micro-État se consument peu à peu des combats où aucun coup n’est épargné : jalousie, envie, carriérisme, intérêts personnels. Tous les coups sont permis lorsque débutent des matchs où l’argent, sous toutes ses formes, le pouvoir, ou les deux, deviennent des motifs de querelles intestines. Ainsi, l’éthique disparaît, même au Vatican. L’affrontement entre cardinaux, cordées et factions va bien au-delà des limites acceptables, comme l’a révélé l’ouvrage de Gianluigi Nuzzi. D’aucuns pourraient objecter que je manque d’optimisme. Jugez plutôt : « L’Église est en train de devenir, pour beaucoup, l’obstacle majeur à la foi. De nombreux fidèles ne voient plus en elle que l’ambition humaine du pouvoir, le petit théâtre d’hommes qui, avec leur prétention d’administrer le christianisme officiel, semblent, pour une grande majorité, constituer un obstacle au véritable esprit du christianisme ». Rassurez-vous, cette tirade n’est pas de moi. Non, c’est en fait l’avertissement déjà lancé par Joseph Ratzinger il y a quelques années, alors qu’il n’était pas encore Pape, et qui est aujourd’hui cruellement actuel.
Au sujet de l’optimisme, je connais moi aussi une autre humanité, au sein de l’Église et à travers le monde, qui ne cherche pas sa place au soleil mais qui sait attendre son tour. Je sais qu’il existe un christianisme de terrain capable, jour après jour, de transformer le pessimisme en optimisme. Je me suis nourri, et je me nourris encore, de ces témoignages-là. Des prêtres, des laïques, qui vivent aux côtés des hommes en acceptant les défis, tous les défis, que la vie leur lance. Il est donc plus juste de parler du problème du Vatican plutôt que de celui de l’Église, même s’il est vrai que ces chrétiens, en cohérence avec leurs croyances, n’ont pas voix au chapitre. Il faut le souligner, sans faux-semblants ni hypocrisie. La parole des nombreux prêtres réellement impliqués sur le terrain et des laïques qui se nourrissent de l’Evangile n’est pas écoutée. Il s’agit d’une autre humanité qui constitue une minorité, non pas au sein de l’Église réelle mais dans son rapport à la hiérarchie censée la représenter. C’est pourquoi il convient peut-être de se poser la question suivante : et s’il en allait de la volonté de Dieu que tous ces scandales éclatent au grand jour afin que l’on prenne acte du témoignage trompeur de ces personnes qui dirigent ?

Combien de temps encore les croyants devront-ils attendre pour que l’unité devienne un témoignage visible au sein du clergé ? Que doit-il encore se produire pour que le monde voie que le Christ peut « aussi » être au milieu des Monseigneurs et des prêtres (Saint Matthieu, 18, 20 : « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux. ») ? Sans compter que cela aurait encore plus d’impact si cette preuve d’unité était donné par le plus responsable des fidèles, le Pape, avec ses Cardinaux… Je ne veux pas sous-estimer l’humble service que Benoît XVI rend à l’Église et je suis conscient de la profonde tristesse et de la douleur qui doit l’étreindre ces dernières semaines ; mais, il faut bien qu’il y ait un leader qui indique la voie à emprunter pour franchir le gué ! Une voie transparente et claire, quoique douloureuse, puisque seule la vérité pourra régler les problèmes. Les rassemblements de masse ne suffisent plus pour mettre sur pied des liturgies sans fin. Les fêtes qui voient se former des marées humaines sont utiles, certes, elles font du bien au moral, mais elles ne sauraient sauver la « morale » de l’Église et, confrontées à la vie quotidienne, elles se révèlent être des témoignages peu probants d’une foi qui demande bien d’autres réponses.
Ce numéro de RADICI propose une interview de Gianluigi Nuzzi, auteur du livre qui fait scandale. Nuzzi a fait son travail, rien ne sert de tergiverser. Il a minutieusement croisé tous les documents qui, actuellement, font l’objet de scandales. Il l’a fait comme un journaliste se doit de le faire, conscient, comme il le dit lui-même que, dans son métier, certains documents ne peuvent sommeiller au fond d’un tiroir.
Ainsi, le chemin est simple, honorable Saint Père. Agissez de même que l’on agit dans tout État normalement constitué lorsque l’on découvre qu’un ministre ou un homme politique vole le bien public (et ne prenez pas pour exemple l’Italie, au nom de Dieu). Envoyez sur une île déserte cette hiérarchie qui porte le discrédit sur l’Église. Qu’elle y cherche sa place au soleil, au « petit soleil » du monde. Car vous savez parfaitement que si l’on veut changer, il faut du vin nouveau, mais servi dans des outres neuves. Certes, l’Église, comme tout autre institution, est libre de ses choix. Elle est libre de construire son bonheur et celui de ses membres, mais elle est libre, aussi, de commettre le pire, comme, hélas, n’importe quel homme.

Rocco Femia

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Rocco Femia, éditeur et journaliste, a fait des études de droit en Italie puis s’est installé en France où il vit depuis 30 ans.
En 2002 a fondé le magazine RADICI qui continue de diriger.
Il a à son actif plusieurs publications et de nombreuses collaborations avec des journaux italiens et français.
Livres écrits : A cœur ouvert (1994 Nouvelle Cité éditions) Cette Italie qui m'en chante (collectif - 2005 EDITALIE ) Au cœur des racines et des hommes (collectif - 2007 EDITALIE). ITALIENS 150 ans d'émigration en France et ailleurs - 2011 EDITALIE). ITALIENS, quand les émigrés c'était nous (collectif 2013 - Mediabook livre+CD).
Il est aussi producteur de nombreux spectacles de musiques et de théâtre.