C’est en farfouillant dans la librairie adossée à l’abbaye de Lagrasse que je suis tombé dessus. Paru en poche chez l’éditeur local, Verdier, l’ouvrage déjà pas épais n’en imposait pas. Et pourtant… Quel monument !

« Histoire de Tönle » de Mario Rigoni Stern nous plonge avant tout dans une littérature disparue, celle qui ne laisse pas forcément paraître beaucoup de rayons de soleil et de joie, à la façon de Zola. L’Italie de Tönle n’est pas la Toscane, Rome, Naples ou même les pauvres mais splendides Sicile ou Calabre. C’est celle des montagnes et du plateau d’Asiago.

La vie y est rude, rythmée par les hivers rigoureux où, au début du vingtième siècle plus encore qu’aujourd’hui, le temps s’arrête. L’époque de Tönle n’est pas tendre non plus, c’est celle de la guerre, celles où les frontières des royaumes sont mouvantes, celles où on peut encore disparaître pour échapper à la Maréchaussée et à la prison.

Tönle va ainsi vivre des années d’exil et de cache. Il découvrira aussi le monde et mille et un métiers. Tout en fuyant la police plusieurs années durant, son existence lui filera entre les doigts. Le contrebandier ne verra pas grandir ses enfants et mourir ses parents.

Une lueur au loin

Quand le village festoiera pour le changement de siècle, il ne sera devenu qu’une lueur perdue et vacillante dans la montagne, celle de son feu de bivouac, le temps d’une nuit pas plus. Il verra les autres s’amuser au loin. Comme Giovanni aperçoit les premières lumières du soir s’allumer, au loin, dans son village qu’il quitte pour le « désert des tartares » de Buzzati.

La fuite, la cavale, font-elles passer les vies plus vite ? Pour Tönle sans aucun doute. Quand il reprend sa place parmi les siens, il est déjà, si ce n’est un vieil homme, un être brisé, qui a vu passer trop de trains sans jamais les prendre. Le « pays où il vit » l’enferme aussi, par ses dispositions géographiques.

Même s’il a voyagé, plus jeune, durant sa fuite notamment, il est désormais, non pas enfermé dans une cellule mais prisonnier de ses montagnes. La rudesse de ces vies n’est pas sans évoquer les trames de certains ouvrages d’Erri De Luca. On y retrouve les mêmes dénuements et fatalisme.

Dénuement et fatalisme

Mais comment ne pas être fataliste face à la guerre que personne ne contrôle, face à des hommes qui s’étripent pour quelques mètres de territoire, pour des monarques qui changent sans cesse ? Tönle n’a, par certains aspects d’homme libre des monts, ni Dieu, ni maître. Ça ne plaît pas aux soldats. Est-ce un dangereux agitateur ? Non simplement un vieux berger.

Parce que le temps est passé. Notre héros verra-t-il la fin de cette guerre ? Ses enfants vivent aux Amériques ou dans la vallée. Sa femme est morte. Il ne lui reste que ses souvenirs et sa montagne ravagée par les tirs de canon. Tönle incarne un monde et une époque perdus à jamais. Celle où s’asseoir sur un rocher entouré de son troupeau et regarder au loin suffisait à se fabriquer un bonheur.

« Histoire de Tönle », Mario Rigoni Stern, Verdier Poche.

UN OUVRAGE À DÉCOUVRIR :

Altipiano. Cheminer avec Mario Rigoni Stern
Loïc Seron
Ed. Rue d’Ulm / 240 p. / 22 €
(2021)

Loïc Seron a parcouru les lieux de Mario Rigoni Stern à pied et en toutes saisons pour évoquer l’esprit d’un homme qui a tiré de sa montagne la force de vivre debout et de se souvenir, la volonté de comprendre et de témoigner, en harmonie avec le monde.
Dialogue intime d’images et de mots, son cheminement célèbre un paysage, une voix, un idéal humaniste, comme pour répondre à cette question : qu’est-ce qui compte vraiment ?

Textes et photographies (85 planches couleur et N&B)

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Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.