Avec ces nouvelles pages, nous fêtons le 100e numéro de RADICI. Un bel accomplissement, certes, même si en vérité, nous pensons déjà aux 100 numéros à venir et au travail, à la passion et à la détermination qu’ils exigeront de nous. Mais notre joie la plus grande, ce sont vos lettres, le vrai dialogue, non le virtuel, qui nous récompense au-delà de tout. Parce que c’est de dialogue que nos sociétés ont le plus besoin. Être écoutés et être à l’écoute les uns des autres. L’actualité de ces dernières semaines nous le rappelle.

Du tumulte de ces derniers jours émerge en effet une requête commune à tous : nourriture, travail, paix, tranquillité. Quand ces droits fondamentaux viennent à manquer, ou bien que l’on a le sentiment d’une impossibilité de changer le cours des choses, la violence explose. Une violence injuste, certes, mais pas moins que celle qui a créé les conditions de ces injustices en réduisant nos vies à une pure consommation de biens.

Un pessimisme mis en lumière par le rapport du Censis [Institut italien de recherche socioéconomique, ndr] qui fait le portrait d’une Italie en déclin, à la recherche d’une sécurité qu’elle ne trouve pas, toujours plus divisée entre un sud qui se vide et un centre-nord qui a de plus en plus de mal à tenir ses promesses en termes de travail, de stabilité, de croissance, et surtout d’avenir. Mais ce qui fait réfléchir le plus, c’est le portrait d’une Italie haineuse, trop souvent à la recherche d’un bouc-émissaire. Les données de l’étude le disent très clairement : 69,7 % des Italiens ne voudraient pas d’un voisin rom et 52 % sont convaincus que l’on fait plus pour les immigrés que pour les Italiens. Si on regarde vers le futur, seuls 33,1 % sont optimistes. C’est cette dernière donnée qui doit faire réfléchir le plus, parce que sans optimisme il n’y a pas d’issue possible ni de recherche d’un futur meilleur.

Le problème est que chaque espace laissé vide par la discussion politique se remplit du ressentiment de ceux qui ne voient pas reconnus leur engagement, leur travail, leur difficulté d’avoir accompli leur devoir de résistance et d’adaptation à la crise.

Au milieu de tant de pessimisme, les images du documentaire intitulé Human, de Yann Arthus-Bertrand, me sont tombées devant les yeux. Ce documentaire invite à ne pas penser à soi mais à écouter ce que d’autres personnes provenant de tous horizons ont à nous dire. Des témoignages intenses qui font espérer jusque dans le drame qu’ils laissent entrevoir : des thèmes comme ceux de l’amour, de la condition des femmes, de la famille, de l’éducation, de l’immigration, de la corruption ; en somme le sens de la vie. Je vous conseille vivement de le voir, ou de le revoir. En des temps si avares en témoignages crédibles, c’est un cadeau plus que précieux, nécessaire.

Dans chaque témoignage, dans chaque larme ou sourire, il y a nos douleurs et nos joies, même quand le récit est celui d’un enfant syrien dont on a tué le père et qui n’a plus peur des bombes. Ou quand ce sont les mots de cette femme qui se prostitue pour aider ses parents, pour donner à sa fille une vie plus digne que celle que le sort lui a accordée. Ou encore ceux de cette fillette qui implore ses parents d’arrêter de se droguer. Il y a de nous dans ces deux pères, l’un palestinien l’autre israélien, qui ont perdu leurs filles à cause de la haine aveugle qui divise leurs peuples, et qui ont décidé de mettre un terme au cycle de la violence en ne répondant pas à la douleur par la vengeance parce qu’ils ont compris qu’ils sont du même côté, le côté de ceux qui veulent la paix.

Alors que les quatre heures que dure le film Human défilaient devant mes yeux, et j’espère dans mon cœur, je pensais que nous n’avions plus le temps de nous taire, qu’il y a des témoignages trop importants pour être tus.

Dans le chœur des voix de Human, il y a véritablement tout : amour, guerre, vengeance, paix, esclavage, vérité, sexe, famine, richesse, injustice, maladie, partage, égoïsme, gratitude. Et puis il y a le sourire. Oui, ce sourire qui, parmi les tant de langues que l’on entend, est la seule que tout le monde comprend.

Et c’est peut-être là notre souhait le plus sincère pour 2019 : Un buon sorriso a tutti. Anzi, cento sorrisi!

Rocco Femia

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Rocco Femia, éditeur et journaliste, a fait des études de droit en Italie puis s’est installé en France où il vit depuis 30 ans.
En 2002 a fondé le magazine RADICI qui continue de diriger.
Il a à son actif plusieurs publications et de nombreuses collaborations avec des journaux italiens et français.
Livres écrits : A cœur ouvert (1994 Nouvelle Cité éditions) Cette Italie qui m'en chante (collectif - 2005 EDITALIE ) Au cœur des racines et des hommes (collectif - 2007 EDITALIE). ITALIENS 150 ans d'émigration en France et ailleurs - 2011 EDITALIE). ITALIENS, quand les émigrés c'était nous (collectif 2013 - Mediabook livre+CD).
Il est aussi producteur de nombreux spectacles de musiques et de théâtre.