C’était le mois dernier, nos confrères de Médiapart organisaient une grande soirée publique sur « les ravages de la corruption », soirée dont certains extraits sont encore visibles sur le site d’information. Parmi les personnalités invitées à prendre la parole : Roberto Scarpinato. Il est procureur auprès du Parquet de Palerme.
Quelle ait émotion que de voir cet homme sous protection policière depuis plus de vingt ans s’avancer sur la scène. C’est son combat sans relâche contre toutes les mafias criminelles ou financières qui lui a valu cette vie entre parenthèse.
L’homme porte beau, salue le public tel un artiste de théâtre mais dans la foulée met en exergue sa modestie en se déclarant fier d’avoir été invité à ce débat contre « le cancer de la corruption ». Il explique son « parcours de guerre » où il a vu mourir de nombreux amis chers et compagnons de travail comme Giovanni Falcone ou encore Paolo Borselino respectivement assassinés en mai et juillet 1992.
« Un survivant »
« Je me considère comme un survivant » lâche le procureur. Ce combat lui a pris son innocence raconte celui qui dit ne plus regarder la vie comme avant. Selon lui, il n’existe pas de démarcation précise entre le monde des honnêtes gens et des criminels. En politique comme en économie, il y a des chemins secrets qui les relient.
Puis Roberto Scarpinato énumère son tableau de chasse : ces hommes au sommet de la finance ou de la politique qu’il a fait condamner. C’est après tout l’essentiel. Sept fois président du conseil et vingt-deux fois ministre, Giulio Andreotti figure parmi ses cibles. Marcello Del Utri, fondateur de Forza Italia et bras droit de Berlusconi, aussi, condamné à sept ans de prison comme le président de la région Sicile.
Et le procureur de citer aussi « des archevêques de l’église catholique et le blanchiment d’argent par la Banque du Vatican », « une litanie possible mais qui durerait une heure environ ». Les applaudissements fusent. Ils ne cesseront plus jusqu’à la fin, venant retentir quasiment à chaque fin d’intervention du magistrat et avant la traduction de ses propos.
« Pathologie du pouvoir public »
Roberto Scarpinato est venu parler de cette « pathologie du pouvoir public qui peut tuer la démocratie », d’une « machine du pouvoir dévoilée par les procès ». Quand le peuple est abusé par quelques hommes puissants explique-t-il, une démocratie est transformée en oligarchie. Il relate amèrement la riposte de la classe politique qui les accusent, lui et ses confrères, de vouloir juger l’histoire italienne. « En réalité, c’est l’histoire qui est rentrée dans les procès » assure-t-il.
Et le procureur de citer Mazarin : « le trône se conquiert par les épées et les canons mais se conserve par les dogmes et les superstitions ». Il fait ainsi référence aux secrets du pouvoir comme « poison de la démocratie ». Les anticorps en sont selon lui les magistrats, indépendants du pouvoir politique et une presse libre et démocratique. « En ce sens, l’Italie est le pays des opposés ». Une Italie patrie de la Mafia mais qui possède le record de nombre de magistrats et de policiers luttant contre la corruption, avec une presse qui encourage la prise de conscience populaire.
« L’Italie : un laboratoire »
« L’Italie est un des laboratoires les plus intéressants de la lutte entre la légalité démocratique et l’illégalité du pouvoir » assène Roberto Scarpinato. Une lutte qui a fait des centaines de victimes : policiers, magistrats, hommes politiques, journalistes. Là encore il évite la longue liste des « tombés au champ de bataille »…
L’homme enchaîne sur ce qui fait la force de l’Italie : sa constitution antifasciste de 1948. « Elle garantit l’indépendance de la magistrature du pouvoir politique, une magistrature qui peut disposer de la police pour ses enquêtes ». Certains politiques ont bien essayé de mettre à mal cet édifice. Et Scarpinato de citer Berlusconi qui a régulièrement accusé les juges d’être politisés.
Et ce par une violente offensive médiatique. Florilège des qualificatifs attribués aux magistrats anti-corruption par la presse berlusconienne : « assassins, terroristes, délinquants, brigadistes, tortionnaires, pervertis, vendus, sadiques, fous, usurpateurs de procès, criminels en robe de juge, petits individus qui ont besoin d’un suivi psychologique »… La salle est à la fois hilare et consternée.
« La ligne Maginot »
Berlusconi essaiera bien de faire passer une réforme allant à l’encontre de cette arme de guerre contre corruptions et mafia mais une large mobilisation citoyenne et médiatique l’en empêchera. « La ligne Maginot » italienne comme la qualifie Scarpinato tiendra.
Malgré tout à partir des années ’90 une série de loi soustraira à la prison plusieurs élus corrompus. En 2012, une nouvelle loi réduira même de douze à huit ans de prison la peine qui punit les pots de vin, et exposera également les repentis à une condamnation. De quoi les dissuader un peu plus de parler…
La loi va cependant progresser avec la confiscation des biens des corrompus. L’Etat italien rendra ainsi des dizaines de milliards d‘euros à la collectivité. « Grâce à cette loi, j’ai de 2006 à 2010 confisqué 3 milliards d’euros » affirme clairement le magistrat à la tribune. Un chiffre à comparer avec celui de 60 milliards, ce que coûte chaque année la corruption dans son ensemble à l’Italie.
Scarpinato pointe ensuite des prédateurs au sommet de la finance internationale dont l’objectif et de démanteler l’Etat et de privatiser ses services publics. « La même classe politique qui a bénéficié de la corruption prêche ainsi cet ultralibéralisme ». Et selon lui, ce serait une erreur de penser qu’il ne s’agit ici que d’une histoire nationale.
« Un héritage à défendre »
Pour lui, l’Italie est un laboratoire qui, grâce à ses magistrats et sa presse indépendante, révèle un processus invisible qu’i s’amorce ailleurs en Europe. « Ce que j’espère ce soir c’est que notre lutte contre la corruption ne reste pas une expérience isolée mais qu’elle devienne une espérance pour construire une Europe démocratique » lance-t-il en guise d’appel à la salle dans laquelle est entre autre présente la garde des Sceaux française Christiane Taubira.
« Nos ancêtres ont lutté ensemble contre le fascisme, ils nous ont laissé en héritage la démocratie. Aujourd’hui il nous revient de défendre ce patrimoine précieux contre la mafia, la corruption et les dérives oligarchiques » conclut Roberto Scarpinato, là encore sous les acclamations du public, debout.
Patrick Noviello est journaliste à France3 Occitanie. Il enseigne à l’Ecole de Journalisme de Toulouse dont il est issu. Il collabore à Radici depuis 2012. Sa dernière conférence théâtralisée « C’est moi c’est l’Italien » aborde, à travers l’histoire de sa famille, les questions liées aux migrations.